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Le Misanthrope

+ d'infos sur le texte de  Molière
mise en scène Thibault Perrenoud

: Laissez-moi, je vous prie.

« Laissez-moi, je vous prie » ordonne Alceste à Philinte, son ami, en ouverture de la pièce.


Le public entre dans le Misanthrope au moment de la crise. Quelque chose s'est passé déjà et Alceste est à bout. Il jette sa première réplique à ses pieds, comme une torche, allumant une ligne de feu qui le sépare des autres hommes et qui, amour dévorant, le consume. Tous essaieront vainement d’éteindre l’incendie mais Alceste fait souffler le vent de l’irrémédiable. Dès lors s’instaure un impossible débat entre les différents protagonistes.


Alceste s'entête. Il s’égare. Méprisant le commerce des civilités et tout le cortège des conventions non écrites, il réclame à Célimène – celle, précisément, qui ne goûte que ce monde – de rompre et de se donner à lui seul afin de mériter de s’élever jusqu’à le rejoindre dans l’atmosphère purifiée de l’amour absolu. Il la veut, dans l’aveuglement de sa jalousie ou de son amour-propre, vouée au service et à la reconnaissance de cette “valeur”, abjurant par là l’amour tout court. Alceste n'est pas le Misanthrope philosophe qu'a vu Rousseau. Son discours contre la mondanité du monde est le produit de la faille amoureuse. C'est un cri de douleur qui se transforme en principes pour masquer l'envie de crier « Aime-moi ! ». Ce qu'il dit de l'humanité n'est pas un discours que Philinte a déjà trop entendu, c'est une éruption.


Qu’il souffre obscurément ou clairement de son état, selon les circonstances, il ne doute pas que toute lutte est vaine désormais.


Pratiquant la politique de la terre brûlée, Alceste, du désert que déjà il s’apprête à rejoindre, assiste au spectacle du monde, et le commente et le condamne, tout à la rage de la perte de son libre-arbitre. En observant ces joutes oratoires, nous rendons l’atmosphère de plus en plus étouffante, en renvoyant à Alceste le reflet de sa solitude.


S’il n’y avait cette souffrance d’un homme incapable de dire « je t’aime » à une femme et qui par dépit l’associe à un monde d’hommes qu’il est ainsi condamné à haïr, nous le trouverions ridicule. Car qui donc en ce monde a les moyens de s’offrir un moment de misanthropie ? Au nom de quel idéal peut-on dire : « Laissez-moi je vous prie » ?


Dans cette société adepte de l'entre-soi, dans ce vase clos où les relations déterminent la valeur de chacun, la crise d’Alceste sera sans lendemain, et nul ne baissera la garde devant ses assauts. Car cette cour se doit de protéger ses membres pour ne pas s'effondrer comme une simple bulle de savon. En cela elle n'est pas simplement la cour de Louis XIV, sorte de témoignage historique dont nous ne saurions que faire. Elle est une microsociété élitiste comme il en existe tant. Sans fondations réelles, elle ne donne aux gens que le pouvoir que les autres veulent bien les laisser prendre sur eux. Elle est entièrement une convention. Passé l’orage, la cour de Célimène retentira à nouveau, tôt ou tard, de ses habituels caquètements.


Seule peut-être Éliante rendra grâce de la sincérité et de l’absence de concessions faites par Alceste à la médiocrité étalée et complaisante.
Elle devine sa honte, voit son obscénité et comprend l'ambition infinie du désir d'être aimé. Figure de l'amitié lumineuse et de l'amour simple, Eliante est ce qui ne peut être détruit. Ni par la mesquinerie de la société, ni par la colère du misanthrope.


Alceste s’en va, nous laissant seuls avec la cour. Et c’est tout à coup aujourd’hui : un monde que les Alcestes ont quitté, ou qu’on ne discerne plus, dans le tintamarre permanent. Un Alceste qu’on n’a pas su ou voulu retenir, faute aussi de convictions, et sans lequel on doit continuer.

Thibault Perrenoud

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