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Las Ideas

Federico León ( Mise en scène )


: Entretien avec Federico León

Propos recueillis par Christilla Vasserot pour le Festival d'Automne

Dans votre spectacle Las Ideas, le spectateur est invité à suivre le travail de l’artiste en plein processus de création. Cette façon d'aborder le théâtre comme un work in progress n'est-elle pas une caractéristique récurrente de votre théâtre?


Federico León : Chaque fois que je répète une pièce de théâtre, j'ai à coeur de braquer les projecteurs sur le processus, sur l'oeuvre en train de se faire, sur la façon dont je construis la pièce : quelles décisions je prends, pourquoi je choisis de m'engager dans telle voie et pas dans telle autre, etc. En fait, je pense que les pièces finissent toujours par montrer comment elles ont été conçues. C'est comme s'il restait des traces des étapes de la création. Toutes les versions sont présentes et condensées dans la version finale de la pièce. Las Ideas est une pièce qui met en évidence un processus de création qui ne pourrait jamais avoir lieu dans ce laps de temps. Ce sont deux années de travail qui sont concentrées en une heure. En règle générale, le public n'a que partiellement accès à ce long processus, car la pièce, une fois terminée, n'est qu'un partie d'un tout bien plus vaste. J'aime l'idée de pouvoir montrer cette part qui le plus souvent demeure dans l'intimité de ceux qui créent les spectacles : comédiens, metteurs en scène, techniciens, musiciens, scénographes, assistants, etc.


Avez-vous conçu le texte de la pièce en amont ou l'avez-vous écrit au fur et à mesure que les répétitions avançaient ?


Federico León : L’écriture de la pièce a avancé au fur et à mesure des répétitions. Il y a également eu des étapes durant lesquelles j'ai écrit en dehors des séances de travail avec les comédiens. Nous avons ensuite travaillé tous ensemble à partir de ce matériau déjà écrit. Tout cela a pris deux années.


Comment articulez-vous, dans l'ensemble de votre oeuvre et plus particulièrement dans votre dernière création, le cinéma et le théâtre ?


Federico León : Lorsque j’ai commencé à étudier le théâtre, je suivais également des études de cinéma. Je pense que les deux sont indissociablement liés dans mon travail. Dans certaines pièces de théâtre, je me suis servi de moyens cinématographiques ; et dans certains de mes films, j’ai utilisé des moyens propres au théâtre. Une de mes pièces, Yo en el futuro, a été créée en 2009 dans un cinéma situé à l’intérieur d’un théâtre. Cette même année, j’ai sorti un film intitulé Entrenamiento elemental para actores, qui a été projeté dans un théâtre. Ce ne sont pas seulement les vidéos, les projections, etc, qui font que le cinéma est présent dans mon théâtre. Il est également présent sous d’autres formes. Prenons par exemple Yo en el futuro et Las Multitudes : pour ces deux pièces, la sélection des acteurs a été plus proche d’un casting de cinéma que de la façon dont on s’y prend généralement au théâtre. Le point de départ de Las Multitudes – travailler avec cent vingt comédiens – me semble aussi plus proche du cinéma que du théâtre.


Plusieurs de vos textes ont été publiés au sein d’un livre intitulé Registros. Pourquoi ce titre qui désigne, plus qu’un recueil de pièces, un registre, un cahier dans lequel vous auriez consigné les traces de vos spectacles ?


Federico León : Le livre réunit plusieurs pièces mais aussi des critiques, des entretiens et des textes que j’ai moi-même écrits sur les pièces que j’ai créées. J’écris et je mets en scène, et aucune de ces activités n’est séparée du reste : la dramaturgie, la mise en scène, la scénographie, les lumières. Je crois que le texte d’une pièce n’est qu’une partie de cette pièce, il ne rend pas compte de la pièce dans sa totalité. L’idée qui est derrière le livre, c’est la possibilité de reconstruire–approcher les pièces à partir des témoignages des comédiens et du metteur en scène, à partir des photographies, des programmes, des entretiens, etc. Je bâtis mes pièces avec un groupe, qui est un cocktail de regards. Des gens divers et variés qui partagent un terrain commun, un langage commun. Le livre réunit tous ces regards, toutes ces personnes : auteur, metteur en scène, comédien, créateur de lumières, musicien, photographe, graphiste, critique, chercheur…


Dans ce même livre, pour introduire la pièce Cachetazo de campo (1997), vous écrivez que ce qui sous-tend une pièce, ce n’est pas le texte mais le jeu de l’acteur. Est-ce que cela peut s’appliquer à votre théâtre plus récent et notamment à votre dernière création, Las Ideas ?


Federico León : Dans mes premières pièces – Cachetazo de campo, Mil quinientos metros sobre el nivel de Jack ou El Adolescente – le texte était intimement lié au travail avec les acteurs. Mais je vis chaque nouvelle création de façon très différente. Je crois que chacune de mes pièces rend compte de ce que je suis à cet instant précis, de mes besoins du moment. Une pièce est comme un autoportrait. C’est un exercice d’observation de soi. Elle est donc en lien direct avec le travail que je mène dans mes ateliers de théâtre. Dans ces ateliers, l’accent est mis sur la façon dont fonctionne chacun des membres du groupe à l’intérieur d’un processus de création. Il s’agit de trouver la dynamique propre à chacun : se démasquer soi-même, en quelque sorte. Mettre en scène les préjugés, les valeurs, les idées, les limites et les possibilités, ainsi que les inquiétudes de chacun ; ce qu’on aime jouer et ce qu’on n’aime pas jouer ; ce qu’on a l’habitude de montrer et ce qu’on ne montrerait jamais ; ce qu’on croit dominer et ce qu’on n’a pas intérêt à dévoiler. Je crois que dans Las Ideas, j’ai oeuvré dans ce sens.
Je joue dans la pièce aux côtés de Julián Tello, avec qui je travaille depuis quinze ans. Je l’ai connu quand il avait treize ans. À l’époque, il jouait dans ma pièce El Adolescente. C’était en 2003. Depuis, il a participé à plusieurs de mes spectacles en tant que comédien, technicien, musicien ou assistant à la mise en scène. Las Ideas est une pièce qui repose sur les limites entre fiction et réalité. Elle met en scène l’intimité d’un processus de création. Il s’agit d’un processus similaire à celui que je pourrais vivre avec Julián pendant la création d’une pièce. Les idées auxquelles le titre fait référence pourraient être nos idées, mais elle ne le sont pas forcément. Nous sommes nous, mais, en même temps, nous jouons à être nous, nous jouons nos propres rôles. C’est aussi pour cette raison que j’ai choisi de jouer dans la pièce.


Pouvez-vous en dire plus sur la façon dont vous avez conçu l’espace scénique de Las Ideas ?


Federico León : Tout se déroule sur et autour d’une table de ping-pong en désordre, que l’artiste et son collaborateur utilisent comme table de travail. Elle fait aussi office d’écran d’ordinateur. Ce qui ressemble à une rencontre informelle entre deux amis se transforme peu à peu en une intense séance de création. Sur cette table de pingpong, l’artiste et son collaborateur mènent à bien un échange – un ping-pong – d’idées et de théories.
À Buenos Aires, la pièce sera créée dans mon atelier, situé à l’arrière de ma maison. Le ping-pong a toujours été présent dans ma vie. Je joue au ping-pong depuis l’âge de quatre ans. Nous avons commencé les répétitions sur une table de ping-pong qui, avec le temps, est devenue une sorte de hangar ou d’entrepôt. Cette table est aussi comme un crâne ouvert, dont on pourrait apercevoir l’intérieur. Le flux des idées. Un tourbillon d’idées, d’associations d’idées.


Quel rapport cette pièce entretient-elle avec certains de vos précédents spectacles qui ont eu l’occasion d’être joués en France, comme El Adolescente, Mil quinientos metros sobre el nivel de Jack ou Yo en el futuro ?


Federico León : Chaque pièce est différente, bien sûr, mais certains thèmes, certaines formes, certains mécanismes se répètent. Un motif récurrent, identifiable dans toutes mes pièces, est cette idée de pouvoir dominer, contrôler quelque chose d’instable. Chercher la stabilité dans ce qui n’est pas stable. Reproduire ce qui a l’air d’arriver pour la première fois. Parvenir à un chaos hyper contrôlé. Comme si, dans tous mes spectacles, il y avait cette volonté de contrôler l’univers-mécanisme-dispositif que je construis. Mais, bien évidemment, il y a toujours quelque chose qui échappe, qui ne se laisse pas attraper, qui change en permanence.

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