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La Mort est un champ de bleuets

mise en scène Clémentine Amouroux

: Extraits d’un entretien avec Clémentine Amouroux

par Gilles Amalvi

La mort est un champ de bleuets aborde des sujets très durs : la mort, l’absence, la folie. Comment vous êtes-vous confronté à ce texte et à ce personnage, Pauline ?


Ce qu’il faut savoir, c’est que ce texte a été écrit pour moi. C’est un cadeau inouï de J-F Vernier. Il y a dans nos deux histoires une place faite à la différence, à la folie : ça a été un point commun très fort. Au-delà de la compréhension rationnelle du texte, il y a quelque chose qui s’est installé entre le texte et moi, qui est peut être dur mais qui me donne une très grande énergie. Pauline n’est pas dans l’opposition entre bien et mal, folie et raison, douleur et joie, lumière et obscurité. Elle est perpétuellement dans un cycle de renaissance. De l’obscurité même naît la joie, et la joie elle-même doit forcément se transformer aussi. C’est comme la course des saisons. Elle a un rapport très organique à ce cycle mort / vie. C’est une espèce d’acceptation de ce qui est, de ce qui existe.


La parole de Pauline avance par analogies, par souvenirs. Comment avez-vous travaillé ce personnage à l’identité éparpillée ?


Ce qui m’intéresse c’est le rapport des mots et du corps. On a toujours opposé le théâtre de texte au théâtre “corporel”. Au départ, je dansais car je croyais qu’il n’y avait que le corps qui ne mentait pas. Quand j’ai joué “Mesure pour Mesure” de Shakespeare, mis en scène par Peter Brook, j’ai découvert les mots. Il me disait toujours : “Le texte dit tout. Rien d’autre à faire que dire le texte”. Ca a été une révélation. Ainsi, les mots pouvaient recouvrir toute la pensée, l’énergie, le désir ; ils pouvaient dire tout ce qu’est l’être à un moment précis – même si ça doit changer la seconde d’après. Mais il disait aussi “chaque mot est comme un iceberg ; on en voit dix pourcent, et puis les quatre vingt dix pourcent en dessous, on ne les voit pas, il faut les trouver”. Ces quatre-vingt dix pourcent, pour moi c’était évident que c’était le corps. Je l’ai développé personnellement, mais il m’a mis sur cette voie de l’acteur comme quelqu’un qui est présent. C’est un travail physique dans le sens où le mot, c’est un univers, et cet univers, c’est quelque chose que l’on peut sentir partout dans le corps, ça voyage, c’est comme les sons. Pour moi, même ne pas bouger, c’est très physique. L’idéal pour moi en tant qu’actrice, ce serait d’être totalement présente et rien d’autre.


Il y a une grande attention de Pauline à l’univers des sensations : les couleurs, les goûts, le toucher. Est-ce que ça vous a guidé dans le travail sur ce personnage ?


Pour moi, Pauline est d’une énorme sensualité. La grande difficulté, c’est le pont avec les autres, comment faire partager cet univers. Pauline est dans la communication, ce n’est pas un monologue intérieur. Elle commence par chanter une chanson pour les spectateurs, et puis la chanson se termine, et elle se laisse aller à continuer d’être, et puis à partager ce qu’elle est. Ce qui me touche c’est la reconstruction de ce personnage qui a subi des électrochocs, dont la mémoire est morcelée, mais qui va de l’avant. C’est cette nécessité de se reconstruire malgré tout ce qui manque, de recréer les branchements. Ce sont des êtres qui s’inventent des routes, qui marchent dans le vide. Mais au départ ils ne peuvent plus exister avec ce qui permet aux autres d’exister.


Quel rapport entre le personnage et le public voulez-vous instaurer ?


Le texte ne fera jamais rien pour personne et moi non plus. L’art peut permettre à quelque chose de résonner pour les gens à l’intérieur d’eux-mêmes, quand ils en ont besoin. J’espère que dans mon travail, il y a toujours la place pour que l’autre s’en empare ou s’en sépare. J’espère qu’il y a toujours une respiration. Je ne voulais pas donner ce personnage avec toute cette souffrance, tous ces souvenirs, ces incapacités, ces pertes, sans que l’on sente une lumière vers la fin. La joie. Je pense que chez Pauline, il y a cette capacité à être guidé par la joie.


Propos recueillis par Gilles Amalvi

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