theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « La Tête de l'homme »

La Tête de l'homme

mise en scène François Rodinson

: Entretien avec François Rodinson

François Rodinson trouve le théâtre là où apparemment il n’est pas.
Avec Classe de Blandine Keller, créé la saison dernière au Théâtre de la Manufacture, le pari a été tenu, et gagné. Rien de théâtral, semblait-il d’abord, dans le récit de Blandine Keller. Et pourtant, le spectacle a su nous faire voyager et faire vivre au dehors une action tout intérieure.
Voici maintenant La Tête de l’Homme, un récit de la poétesse Florence Pazzottu.
Débit mesuré, mots choisis, grande attention à l’autre. François Rodinson nous parle. Au moment de débuter les répétitions, le metteur en scène a accepté de nous livrer ses confidences sur quelques rencontres décisives : avec le texte de Florence Pazzottu, avec Marion Bottollier, avec le reggae.


Yannick Hoffert : En quoi le texte de La Tête de l’Homme t’a-t-il séduit?


François Rodinson : J’ai été captivé... notamment par cette tension entre l’exploration d’un territoire intime, sensible, et le regard tourné vers l’extérieur. Même si le texte plonge dans des labyrinthes intérieurs, il ne cesse d’interroger également autrui et le monde, dans une démarche, pour ainsi dire, d’anti-indifférence. Ce texte tisse des liens entre toutes choses. Nous suivons le parcours digressif d’une pensée qui ne s’arrête jamais. Nous sommes plongés au centre de tous les faisceaux qui raccordent une personne au monde, aux autres, à la vie. C’est un grand poème, sensible, qui fabrique quelque chose de profondément émouvant– du moins en ce qui me concerne, le plaisir est immense, comparable au contact avec un texte de Racine.


Y. H. : Un grand récit, un parcours intérieur qui interroge le monde à travers le prisme d’une sensibilité aiguë; un récit dont chaque chapitre est un poème, et qui demande au lecteur de s’abandonner aux mots, à l’inattendu de chaque mot, au moins autant qu’à l’ordre d’une histoire. Florence Pazzottu est reconnue comme une voix riche de notre poésie d’aujourd’hui. Mais pourquoi porter ce texte sur le théâtre?


F. R. : Il a été tout de suite évident pour moi qu’il y avait là matière à spectacle. À cause de cette exploration intime, précisément. À cause de cette saveur poétique, par et dans laquelle le théâtre peut naître. Tel était également le projet de Classe : porter sur scène la singularité d’une pensée au travail. C’est également ce que j’avais fait avec Speed de William Burroughs Junior. Dans ces textes qui ne sont pas écrits pour le théâtre, je trouve un véritable espace, intérieur. L’ouverture d’une scène mentale. Mon travail consiste à donner à voir cet espace, en évitant de tout montrer. Je cherche à créer une évocation, comme le fait le poème: il ne donne pas tout, mais laisse percer quelque chose qui n’est pas nommé. Je ne veux surtout pas fermer ; il s’agit, au contraire, d’ouvrir, de susciter un espace de résonances.


Y. H. : Quels univers artistiques t’accompagnent dans ce projet?


F. R. : Principalement, un film vu cet été: Made in Jamaica, réalisé par Jérôme Laperrousaz. C’est un film documentaire, passionnant, qui retrace l’histoire du reggae, à travers les voix des anciens, comme Bunny Wailer, Gregory Isaacs, mais aussi les figures actuelles du Dance Hall, Bounty Killer ou Doc Marshall. Le reggae m’est apparu comme un fil permettant de coudre le spectacle: il évoque des réalités extrêmement dures – les siècles d’esclavage, les rixes, les meurtres –, mais à travers des mélodies extrêmement douces, par la voix de velours de Gregory Isaacs, par exemple. Le titre de La Tête de l’Homme renvoie d’abord à une agression dont a été victime la narratrice – la tête de l’agresseur entr’aperçue dans une ruelle, comme une image obsédante. Le génocide rwandais, une affaire de viol, le 11 septembre 2001 font également partie du poème. Mais c’est un grand chant, très ample, comme L’Odyssée ou La Divine Comédie. L’Enfer de Dante évoque de manière sublime des supplices abominables. Le reggae, avec sa douceur infinie, sa poésie majestueuse, raconte des choses terribles. Il évite ainsi le dolorisme, la complaisance du malheur, et révèle quelque chose de lumineux, une dimension solaire.


Y. H. : La musique sera donc un acteur du spectacle?


F. R. : Oui : j’ai demandé au musicien Camille Perrin de faire partie du projet. Il sera sur le plateau, avec sa contrebasse et peut-être d’autres instruments. Il travaille à composer une musique susceptible de dialoguer avec la musicalité du texte.


Y. H. : Quel espace pour La Tête de l’Homme?


F. R. : Avec Vincent Tordjman, qui avait déjà conçu la scénographie de Classe, nous nous sommes donnés deux contraintes essentielles : ne pas trop en montrer ; ne pas être sombre. Le théâtre occidental, le plus souvent, se joue sur un fond obscur. Il s’écrit littéralement sur des pages noires. Le Nô, au contraire, se joue dans un univers de blancheur. L’acteur de Nô écrit sur le plateau avec son corps ; son parcours décrit des figures, quasiment des idéogrammes. Dans un esprit semblable, j’ai souhaité le plateau comme une page blanche sur laquelle évoluera le corps de l’actrice. Le décor évoque une dalle de parking dans laquelle s’enfonce un escalier. Un escalier qui conduit dans la tête de la femme; du dessous sort la pensée. Il y aura peut-être aussi quelque chose de Marseille, qui est le lieu de l’agression et le cadre de vie de Florence Pazzottu. Au lointain, un petit cyclorama sera comme une fenêtre sur la Méditerranée.


Y. H. : Comment envisages-tu d’orienter le travail avec la comédienne, Marion Bottollier?


F. R. : Le micro à la main, elle pourra donner toute sa pugnacité à ce texte qui est aussi un combat. On alternera les moments d’adresse directe au public, comme dans un concert, et des moments plus fragiles où l’on reviendra à un rapport plus intime. Marion m’a paru très indiquée pour ce travail. J’ai été frappé par sa grâce très particulière, que nous avons pu voir dans Slogans. Marion exprime une grande fragilité, une sensibilité extrême ; en même temps, elle peut dégager une puissance phénoménale. Le spectacle se fondera sur l’alternance entre ces deux registres. La Tête de l’Homme proposera un moment de délicatesse et d’énergie vindicative.


Propos recueillis par Yannick Hoffert

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.