: La Permanence artistique
« Auteur, metteur en scène et acteur, j’ai créé en 1986 la
compagnie L’entreprise, avec le souhait de chercher un langage
qui puisse raconter le monde d’aujourd’hui, traverser les
frontières sans être arrêté par des références culturelles, et
s’adresser directement aux spectateurs.
L’écriture a toujours été la colonne vertébrale de mon travail,
elle préexiste au théâtre, et c’est à travers elle que j’aborde le
théâtre, y compris les formes les plus corporelles ou les cultures
les plus lointaines.
Si j’ai ressenti la nécessité de créer une compagnie, c’était pour
entreprendre une recherche sur les déchirures et les liens entre
le corps et le verbe, entre tradition et création. Je porte ces
questions, ayant appris à lire et à écrire dans un pays du
Maghreb, étant le fils d’un footballeur Espagnol et d’une
agrégée de lettres classiques française.
Il me semble que le public est aujourd’hui presque entièrement
un public d’exilés, suite aux migrations, aux guerres, à
l’expansion de l’industrie, aux échanges internationaux. C’est
l’histoire de notre vingtième siècle : familles, tribus,
communautés ont éclaté. Je me pose, sans nostalgie de ce qui
fut, la question de la communauté de ceux qui ont perdu leurs
arbres généalogiques, leur terre ou leur histoire.
Cette recherche a provoqué des confrontations avec des arts
voisins : poésie, littérature, musique, art du clown, arts du
cirque, art du masque ou art de la marionnette…
J’ai mis en scène un opéra contemporain à partir d’une nouvelle
d’un auteur chinois, collaboré avec plusieurs cirques (Plume,
Archaos, Cirque Désaccordé), enseigné au Centre National des
Arts du Cirque, à l’Ecole Nationale des Arts de la Marionnette, et
dans de nombreux lieux de formation de théâtre en France et à
l’étranger.
En découvrant des arts plus anciens que le théâtre, j’ai
découvert des sociétés traditionnelles (Inde, Indonésie, Japon,
Comores…) qui m’ont fait comprendre des articulations entre art
et rituel, et qui m’ont posé violemment une question : quelle est
la place de l’art dans notre vie ?
Ces rencontres ont marqué les créations de la compagnie.
Depuis 1986, une trentaine de créations ont donné lieu à plus de
deux mille représentations (France, Europe, Canada, Etats-Unis,
Afrique, Inde, Bangladesh, Pakistan, Indonésie, Océan Indien),
dans des villages comme dans de grandes scènes nationales ou
de grands théâtres et festivals étrangers.
J’ai toujours voulu garder mêlées recherche, transmission,
création et diffusion.
En m’interrogeant sur les conditions d’une rencontre directe entre les oeuvres et le public, il m’est apparu que le temps était une donnée essentielle : l’art doit prétendre à une permanence. Même s’il est plongé dans les contradictions et l’électricité de son époque, il doit dégager ce que l’art a de permanent, « tirer l’éternel du transitoire » (Baudelaire). Pour que l’art entre dans notre vie, il faut un choc, un seul. Mais ensuite il faut une fréquentation plus longue des oeuvres. C’est possible avec la littérature, la peinture, le cinéma, mais au théâtre, cela disparaît.
En 2004, la compagnie s’est implantée à la Friche la Belle de Mai,
pour y développer un projet de permanence artistique : la
constitution d’une troupe, d’un répertoire, et la construction
d’une relation longue et régulière avec le public, pour que le
spectateur se sente partie prenante de l’aventure d’une troupe
dans sa région et en devienne le médiateur.
Cette aventure a été accompagnée depuis le début par Système
Friche Théâtre et le Théâtre Massalia à Marseille. Des
compagnons de route se sont associés à cette aventure sur
d’autres territoires : Le Centre Dramatique National de
Sartrouville, La Scène Nationale de Foix et de l’Ariège, Le
Domaine d’O à Montpellier, la MC2 à Grenoble…
Aujourd’hui huit artistes animent les onze créations du répertoire, qui ont donné lieu, en 7 ans, à 900 représentations, dont 280 à Marseille. »
François Cervantes
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