theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « La Grande Magie »

La Grande Magie

+ d'infos sur le texte de Eduardo De Filippo traduit par Huguette Hatem
mise en scène Dan Jemmett

: Le répertoire italien à la Comédie-Française par Agathe Sanjuan

conservateur-archiviste de la bibliothèque-musée de la Comédie-Française

Avant même la création de la Comédie-Française, la troupe de Molière dont elle est issue entretient un rapport ambigu avec le répertoire italien et les comédiens italiens. En effet, elle partage avec ces derniers l'Hôtel de Guénégaud, depuis la mort de Molière, et les deux troupes jouent en alternance, dans une relation à la fois de compagnonnage et de rivalité. Molière lui-même est l'auteur le plus proche des Italiens quand on considère que ses comédies s'inspirent des canevas de la commedia dell'arte.
À la création de la Comédie-Française en 1680, les comédiens réunis dans la nouvelle troupe obtiennent le monopole du répertoire français et le nom même de la troupe s'inscrit dans un rapport d'opposition à la Comédie-Italienne qui joue en italien, jusqu'à l'expulsion des Comédiens-Italiens en 1697. La préoccupation de la Comédie-Française est moins de s'enrichir d'un répertoire étranger, que de défendre son privilège contre ces derniers qui utilisent de plus en plus le français, et gagnent ainsi le public, en présentant des pièces bilingues alternant dialogues all'improviso en italien et dialogues « écrits » en français. C'est donc assez tardivement que le répertoire accueille les premières pièces étrangères, dont on peut considérer que Goldoni est le premier auteur, si l'on excepte les adaptations de Shakespeare par Ducis, très éloignées du texte original. Deux pièces de Goldoni sont montées de son vivant, Le Bourru bienfaisant (1771) qui obtient un immense succès, et L'Avare fastueux (1773), mais les Comédiens-Français n'ont pas cessé de piller son théâtre en adaptant des versions françaises de ses pièces au XVIIIe siècle. Le répertoire italien fait donc une entrée remarquée avant de tomber dans l'oubli pendant plus d'un siècle. Si aucun auteur italien n'entre au répertoire pendant le XIXe siècle, les auteurs romantiques français puisent dans les sujets et les univers italiens qui les inspirent : Angelo tyran de Padoue de Hugo, Andréa del Sarto de Musset, Les Vêpres siciliennes de Delavigne mettent l'Italie à l'honneur sur la scène du Français.
De manière générale, il faut attendre le mandat d'Émile Fabre, administrateur de 1915 à 1936, pour voir des pièces en langue étrangère à la Comédie-Française. En 1927, il monte La Torche sous le boisseau de l'Italien Gabriele D'Annunzio, du vivant de l'auteur.
À la suite d'Émile Fabre, Édouard Bourdet poursuit la politique d'enrichissement du répertoire étranger. Désormais, la construction d’un grand répertoire européen sera la préoccupation des administrateurs successifs. Le domaine italien est très largement représenté par deux auteurs majeurs, Goldoni et Pirandello. En 1937, un an après sa disparition, Pirandello est le troisième auteur italien à entrer au répertoire avec Chacun sa vérité dans la traduction de Benjamin Crémieux. Charles Dullin, qui avait créé la pièce en France en 1924 au Théâtre de l'Atelier, signe ici sa première mise en scène à la Comédie-Française, inaugurant un demi-siècle de pirandellisme. La pièce est reprise en 1951 et Julien Bertheau, assistant de Charles Dullin reprend scrupuleusement la mise en scène d'origine, tout en tirant la pièce vers le « vaudeville philosophique » (le public rit) contrairement aux versions antérieures plus intellectuelles. L'année suivante, Julien Bertheau monte à la salle Luxembourg Six personnages en quête d'auteur. La pièce sera reprise à Richelieu par Antoine Bourseiller en 1978, puis Jean-Pierre Vincent en 1986. En 1967, Jean Vilar rend un hommage à l'auteur au moment du centenaire de sa naissance, et en 1969, on donne un Spectacle Pirandello, composé de Un imbécile et de La Volupté de l'honneur. Cette formule en duo est renouvelée en 1992, mettant en miroir la première et la dernière pièce du maître, L'Étau et Je rêve (ou peut-être pas) traduites par Jean-Loup Rivière. La troupe du Français monte aussi Henri IV à l'Odéon puis à Richelieu (1973-1974), Les Grelots du fou au Théâtre du Vieux-Colombier (2005).


Passeur de Goldoni en France, Strehler contribue à la redécouverte de cet auteur, et sa magistrale Trilogie de la villégiature à l'Odéon (1978) ouvre la voie aux mises en scène de Jacques Lassalle Salle Richelieu, avec La Locandiera (1981), La Serva amorosa (1992), Il campiello (2006), ainsi qu'à celles de Jean-Luc Boutté (L'Impresario de Smyrne, 1985) et Jean-Louis Jacopin (Le Café, 1990). À ce jour, Goldoni est l'auteur italien que les Comédiens-Français ont le plus souvent joué. Décision symbolique, la Comédie-Française édite dans sa collection intitulée justement « Le Répertoire » deux pièces de Goldoni entérinant ainsi son appartenance à l'héritage culturel français.
Outre Pirandello et Goldoni, la mise à disposition de la salle de l'Odéon dans les années soixante-dix, confiée à Pierre Dux, permet d'enrichir la programmation étrangère, et notamment italienne, des Dialogues avec Leuco de Cesare Pavese (1975). « Hors les murs », Jacques Lasalle monte avec la troupe du Français Un mari d'Italo Svevo, au Théâtre national de la Colline en 1991, heureuse découverte d'un auteur peu connu comme dramaturge. Le Théâtre du Vieux-Colombier est un champ d'exploration des littératures étrangères contemporaines ; on y monte en 2007 Orgie de Pier Paolo Pasolini, et La Festa de Spiro Scimone, ce qui permet à nouveau aux comédiens d'interpréter l'œuvre d'un auteur vivant.
Néanmoins, l'abondance des textes italiens ne permet pas à la Comédie-Française de couvrir tout le champ des auteurs de qualité ; ainsi parmi les auteurs de la Renaissance, l'Arétin, le Tasse, Machiavel, Ruzzante sont absents, de même qu'aux XVIIIe et XIXe siècles, Carlo Gozzi, le grand auteur tragique Alfieri, ou encore le romantique Manzoni.
Les lectures de comédiens et les enregistrements à la radio pallient quelques manques et permettent aux comédiens de dire d'autres textes de Dante, Italo Svevo, Giordano Bruno, Cesare Pavese, Vittorio Alfieri. Enfin en 2008, La Maladie de la famille M. de Fausto Paravidino est lue au cours d'un cycle de lectures du bureau des lecteurs.
La Grande Magie, écrite en 1948 et créée en 1949 est remontée par Giorgio Strehler au Piccolo Teatro de Milan en 1985. On mesure alors la portée de cette œuvre majeure. L'entrée au répertoire d'Eduardo de Filippo, grand auteur napolitain, s'inscrit dans la lignée de celle de Pirandello, le Sicilien, mais on le rapprocherait plus volontiers de Dario Fo, qui, comme lui, est à la fois, acteur, auteur, chef de troupe. En tant qu'auteur, Dario Fo a donné une introduction au spectacle Une confrérie de farceurs au Théâtre du Vieux-Colombier en 2007, avec son texte La Naissance du jongleur. Mais c'est par la mise en scène de pièces de Molière qu'il a fait ses premiers pas à Richelieu en 1990, avec Le Médecin malgré lui et Le Médecin volant. L'entrée d'Eduardo de Filippo au répertoire se place dans la lignée de ces deux mises en scène qui, comme lui, traquent le tragique sous la farce.

Agathe Sanjuan

01 février 2009

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.