theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « La Cuisine d'Elvis »

La Cuisine d'Elvis

mise en scène Pierre Maillet

: Note d'intention

« Comme je voulais devenir écrivain je me suis dit qu’il fallait que j’aille là ou d’autres auteurs étaient allés, j’ai donc voulu de tout mon cœur aller à Cambridge. (…) Une fois là-bas je me suis rendu compte que Cambridge n’était pas nécessairement une fin en soi et que le plus important pour la création, le plus riche et le plus inspirant, je l’avais déjà découvert à Newcastle. Cambridge fut une expérience énorme mais je me rendis compte que toutes les choses importantes dans ma vie créative s’étaient formées dans ma chambre de Newcastle. Donc quand j’ai quitté l’université je me suis mis à écrire une série de pièces qui exploraient cela par des biais plus ou moins autobiographiques… » Lee Hall.


« La Cuisine d’Elvis » est un huis-clos. Une pièce de chambre. De celles qu’on imagine bien au départ, aux situations rêvées par un jeune garçon dans sa chambre de Newcastle. Elle a la fougue, l’humour -scatologique souvent- la brutale insolence donc, propres à l’adolescence. Elle en a aussi les inquiétudes. De ce qui s’ouvre à soi et qu’on ne connaît pas (l’avenir), les changements physiques (grosse ou mince), le rapport à la famille (besoin ou détestation), et bien sûr la sexualité (avant et après) . Elle a aussi la particularité d’un regard adolescent face à une tragédie. Comment on se construit quand on a déjà autant vécu ?


« La Cuisine d’Elvis » c’est pour moi la maturité court-circuitée en permanence par l’innocence et la bêtise, explosant de manière toujours surprenante la bienséance et les tabous. Un terrain de jeu pour apprendre et désapprendre, s’attacher et se quitter, s’embrasser et s’insulter. Si j’insiste sur ce regard adolescent, c’est d’abord parce que la pièce de Lee Hall est narrativement « racontée » par Jill, la fille de 14 ans au travers de laquelle on verra tout, on entendra tout. Une des deux importantes « distanciations brechtiennes » de cette pièce (avec la figure d’Elvis, j’y viens…) puisqu’on ne saura pas dans le spectacle si Jill nous raconte sans concession son adolescence avec ses yeux d’adulte, ou si c’est l’adolescente qui écrit frénétiquement et rageusement ses expériences sur un journal intime Sarah Kay… De toute façon un exutoire. De toute façon un fantasme. De toute façon une comédie. Noire, grinçante, mais une comédie. Et une comédie anglaise, donc sociale. C’est là tout le génie et selon moi, l’exceptionnelle qualité de cette pièce, au départ radiophonique puis retravaillée pour la scène, que de confronter en permanence Ken Loach et Mike Leigh avec Benny Hill (si si,), les Monty Python ou « Absolutely Fabulous ».


« La Cuisine d’Elvis » c’est aussi et surtout des personnages échappant aux clichés. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce qu’on dit d’eux n’est absolument pas la réalité. Ainsi l’adolescente qui ne parle que de bouffe et qu’on traite de « grosse » s’avère ne pas l’être ; la « cougar alcoolique et anorexique » est surtout prof d’anglais, n’a que 38 ans et cherche plus à refaire sa vie que la sortie des écoles ; quant à l’ « amant boulanger », il n’est pas le gigolo attendu de ce genre de situation puisqu’il en a une, de situation ; un toit ; qu’il ne se fait pas payer, et qu’il s’avèrera plus sensible qu’on ne le pensait dans les moments les plus inattendus, notamment les plus scabreux … Quant au père paralytique, certainement la figure la plus dérangeante de la pièce, Lee Hall en fait un ancien imitateur transformiste d’Elvis Presley dont les interventions monologiques et musicales scandent le spectacle, faisant voler en éclats la forme réaliste et psychologique dans laquelle il pourrait s’enfermer, pour d’un coup nous transporter dans un « cabaret » fantasmatique dont on ne sait si c’est un sordide club de seconde zone, des réminiscences de Las Vegas, ou la réincarnation du King comme dans le « Mystery train » de Jim Jarmusch. Il y a un autre film anglais auquel me fait penser « La Cuisine d’Elvis », c’est le film d’Andrea Arnold « Fish tank », (Prix du Jury au Festival de Cannes en 2009) Il reproduit à peu près le même trio amoureux : un homme entre une mère et sa fille (le mari paralytique en moins) mais surtout, et c’est pour moi l’un des aspects les plus importants du spectacle, le peu de différence d’âge entre la mère et la fille, produisant une relation particulière entre elles, surtout lorsque la mère compte refaire sa vie amoureuse. Il ne s’agit pas tant de rivalité ou de jalousie, (d’ailleurs totalement inexistant dans l’écriture), qu’un manque de maternité se rapprochant de l’amitié. Car bien sûr, à côté de l’aspect indispensablement grotesque et potache de certains moments, la pièce dans le fond, est profondément humaine, et sous bien des aspects assez bouleversante. En allant même jusqu’à écrire un stupide « happy end » que Lee Hall titre justement « Epilogue insupportablement facile » auquel personne ne croira, c’est encore une fois contre toutes les idées reçues, et contre toute volonté d’enfermer les choses et les gens, que s’érige fièrement « La Cuisine d’Elvis ».


« Peut-être que la vie n’est pas de la tragédie. Peut-être que c’est ça qui est normal, la peine et le chagrin, la solitude et le désespoir. Peut-être que la vie, c’est ces tous petits moments qui nous aident à continuer dans l’obscurité. Ces toutes petites choses. Comme un délicieux dîner, ou un petit moment de tendresse, ou un sourire… même pendant une toute petite seconde. Peut-être que c’est pas renoncer qu’il faut, peut-être qu’il faut essayer. La vie, c’est un truc bizarre, non ? » (Extrait).

Pierre Maillet

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.