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L'Amant

+ d'infos sur l'adaptation de Robert Lacombe ,
mise en scène Astrid Bas

: À chacun sa Duras

C’est par hasard que j’ai rencontré Duras, son écriture. D’elle, j’avais seulement lu Un Barrage contre le Pacifique. Et puis, alors que je jouais Crave de Sarah Kane avec Jean-Marie Patte, je suis tombée sur Écrire. J’y ai retrouvé cette musicalité de l’écriture que j’aime. Des thèmes quim’obsèdent en tant qu’actrice : l’isolement, la solitude, la peur, lesmots, l’alcool, lamaison. C’est une rencontre quasi animale, instinctive. Pas intellectuelle. Jean-Marie qui l’a connue, a été d’accord pour qu’on fasse un spectacle. Il a ajouté Roma, Bérénice, une histoire d’amour.


  • J’écrivais tous les matins. Mais sans horaire aucun. Jamais.
  • Sauf pour la cuisine. Je savais quand il fallait venir pour que ça bouille ou que ça ne brûle pas.
  • Et pour les livres je le savais aussi. Je le jure. Tout, je le jure. Je n’ai jamais menti dans un livre.
  • Ni même dans ma vie. Sauf aux hommes. Jamais.
  • Et ça parce que ma mère m’avait fait peur avec le mensonge qui tuait les enfants menteurs.(1)

L’Amant aussi est un hasard. Olivier Poivre d’Arvor m’a demandé, pour leMarathon des mots à Toulouse en 2006, de faire une lecture d’Écrire. Jacques Higelin a eu envie de lire ce texte. Envie que j’ai trouvée à propos. Finalement le choix s’est porté sur L’Amant. Et tout de suite, intuitivement, j’ai eu envie de musique. D’un violon. Et j’ai pensé à Ami Flammer. Il a connu Duras, composé des musiques pour certains de ses films.


  • Prendre un violon et jouer, pour elle, c’était ça, la musique ; ça sortait du ventre. C’est aussi du travail, mais elle n’avait pas du tout la notion de cela. (2)
  • « -Vous écoutez de la musique souvent.
  • - Non, je ne peux pas. Vous savez, vivre, c’est beaucoup taire de choses. Beaucoup en ressentir mais ne pas les dire. C’est aussi affronter une solitude essentielle. Et j’avoue que tout ce qui est resté du non-dit en moi, dès que j’entends de la musique, se montre, et je pleure, et c’est impossible »

Une fois encore, elle y parle (de l’impossibilité de l’amour), de l’impossibilité du couple, de l’impossible accomplissement de l’amour. On peut avoir un amant, on ne peut pas vivre l’amour en couple. Mais L’Amant, c’est davantage encore, c’est Marguerite Duras à son commencement, en train de devenir écrivain. Avant de devenir femme, Marguerite Duras adolescente.


  • La plupart des gens se marient pour sortir de la solitude. Vivre avec, manger avec, aller au cinéma avec. La solitude est brouillée mais pas défaite. La garantie : le recours à l’autre toujours présent. Le couple des amants est le fait d’un instant. Il ne survit jamais au mariage Mais l’illusion reste entière, à chaque couple naissant, qu’il sera l’exception à la règle. Aimer, c’est ça. Le couple. La fin de l’aventure individuelle de quelque ordre qu’elle soit On ne peut rien faire du couple dans le couple, qu’attendre que se dévide cette merveille, le temps de l’amour. Le couple est à lui-même sa propre fin…(3)

Et son commencement, c’est aussi l’apprentissage de cette impossibilité d amour dès l’enfance, dans l’enceinte de la famille.


  • Notre famille était comme toutes les familles, mais ouvertement. Abruptement. On était ce qu’on paraissait être. On ne prenait aucune précaution pour paraître autres, c’était notre noblesse, cette sauvagerie. (4)
  • Dans les histoires de mes livres qui se rapportent à mon enfance, je ne sais plus tout à coup ce que j’ai évité de dire, ce que j’ai dit, je crois avoir dit l’amour que l’on portait à notre mère mais je ne sais pas si j’ai dit la haine qu’on lui portait aussi et l’amour qu’on se portait les uns aux autres, et la haine aussi, terrible, dans cette histoire commune de ruine et de mort qui était celle de cette famille dans tous les cas, dans celui de l’amour comme celui de la haine et qui échappe encore à tout mon entendement, qui m’est encore inaccessible, cachée au plus profond de ma chair, aveugle comme un nouveau-né du premier jour…(5)

J’ai envie de montrer, de montrer tout ça de Duras. Avec Georges Lavaudant, qui signe la lumière, j’ai imaginé un espace noir. Une lumière blanche, un fond noir. Comme un bateau peint à l’encre de chine. L’adaptation est linéaire : une suite de plans séquences, ce qui est propre à l’écriture de Duras. J’ai bien sûr vu ses films en noir blanc, mais nous ne cherchons pas pour autant à reproduire du cinéma sur un plateau. D’un espace théâtral devrait naître la parole traversée par la musique.
Il ne s’agit pas non plus d’incarner Duras, on ne peut pas dire qu’on incarne Duras. On avance et on voit un personnage qui se dessine, une femme, une adolescente, une soeur, des moments de vie, une part de soi peut-être.
Car au bout du compte, à chacun sa Duras.


Astrid Bas


(1). Marguerite Duras – Écrire, Gallimard, Paris, 1993


(2). Ami Flammer, « Elle était musicienne » dans Les Cahiers de l’Herne


(3). Marguerite Duras, Les yeux verts, éd. Cahiers du Cinéma


(4). Interview de Marguerite Duras dans Le Nouvel Observateur n° 1038


(5). Marguerite Duras, L’Amant, Les Éditions de Minuit, Paris, 1984

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