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L'Atelier volant

+ d'infos sur le texte de Valère Novarina
mise en scène Valère Novarina

: Entretien avec Valère Novarina

Propos recueillis par pierre notte

L’Atelier volant, écrit en 1971, est votre première pièce. Le texte va-t-il changer ?


Aucunement. Pas une syllabe. Mais nous avons pratiqué quelque coupes : c’est un travail très délicat, car c’est intervenir sur un organisme vivant ; la partition du livre n’est pas une mécanique mais un animal de mots qui sommeillait — et à qui les acteurs, le scénographe, le compositeur, le metteur en scène vont peu à peu redonner vie. En écourtant la pièce, il faut bien prendre garde à ne pas couper un nerf, paralyser un muscle... Tout le travail consiste, très délicatement, à remettre la pièce en mouvement, à retrouver l’émotion, la vie rythmique des figures du langage... Nous avons affaire à un corps autonome qui avait sa logique, sa musculature, sa vie propre — et aussi son envers et sa face mystérieuse.


C’est au théâtre du Grand marché, à Saint-Denis de la Réunion, lors de la toute dernière représentation du Vrai sang que nous avons décidé tous ensemble de ré-ouvrir et d’opérer L’Atelier volant, de lui redonner vie. Avec Christian Paccoud, Céline Schaeffer, Philippe Marioge et presque toute la troupe... Le projet était aussi d’aller vite, d’essayer de lutter contre le ralentissement dont souffre aujourd’hui la production théâtrale. Cela a été possible grâce au soutien immédiat de Jean-Michel Ribes et à la chaleureuse présence à nos côtés de René Gonzalès.


La fable de L’Atelier volant semble avoir été écrite hier. Cela vous trouble ?


Le monde n’a pas changé, mais simplement empiré ; c’est saisissant... L’Atelier volant décrit les avatars et métamorphoses, les mutations d’une petite « boîte », une entreprise où opère un trio patronal et une minuscule constellation de cinq employés immatriculés A, B, C, D, E. On assiste surtout à l’emprise, à la mécanisation du langage (elle s’opère aujourd’hui sous nos yeux plus manifestement que jamais) ; mais on assiste aussi aux résurgences, aux résurrections, de notre langue. Comme l’écrit Paul de Tarse, la parole est un glaive à double tranchant. La machination du langage (de ce qu’on appelle symptomatiquement les éléments de langage) peut agir sur nous sournoisement, nous dévorer — mais aussi, le verbe vivant, le verbe acteur, la raison réversible, la combustion, l’ardeur des mots peut nous délivrer...


Les acteurs sont les révélateurs du corps caché du texte ; ils nous révèlent, nous rappellent que le texte est un animal vivant. Les répliques sont comme des truites sous les rochers. L’acteur doit les saisir, les attraper : aller au plus profond du texte, à la connaissance intérieure des mouvements de la pensée, sur la page, et sous la page, dans le volume du livre. Toutes les émotions de l’assemblée des spectateurs singuliers (car personne n’entend la même pièce) viennent des acteurs et de leur incandescence, de leurs danses parlées, de leurs corps volatils.


Dans quel espace installez-vous la petite société de L’Atelier volant ? Quel est votre projet de metteur en scène ?


Philippe Marioge a imaginé dans l’espace un cube magique de deux mètres sur deux, un objet de gymnaste, un agrès de cirque, un cube d’où tout sort et tout jaillit. C’est un noyau où tout se déplace dans la vélocité joyeuse des corps et de la parole. Il y aura aussi, tout au cours du spectacle, des points incandescents musicaux composés par Christian Paccoud, profond rythmicien.


Ce cube magique permettra de tout recentrer toujours autour du travail des acteurs. Tout repose sur leurs forces et leurs inventions. Aucune fumée! ni fumigènes!... Nulle émission de brouillard idéologique ! Tout est monté et montré à cru. Comme dans un théâtre de la cruauté comique.


Les acteurs sont des peintres qui évoluent et dessinent le verbe et l’action autour de cette boîte sans cesse déplacée par le Docteur — avatar de l’Ouvrier du drame qui opérait dans L’Acte inconnu et Le Vrai sang. Le comédien est pour moi l’animal érotique du théâtre, son point joyeux et incandescent. Je suis toujours surpris par l’acteur au travail... À l’observer sans cesse, j’apprends chaque jour quelque chose de nouveau... Il y a une semaine, à Lille, où j’avais fait le voyage pour voir les acteurs de la Compagnie de l’Oiseau Mouche aux prises avec l’un de mes texte (Sortir du corps), j’ai compris que le langage est un geste, que la parole est un geste musculaire dans l’espace et dans le temps. En Hongrie, l’année dernière, à Debrecen, j’ai appris qu’ouvrir les yeux ouvre la voix. Quand les yeux sont ouverts, le texte s’offre, se dilate. Il devient une « donnée ». L’Atelier volant rassemble une troupe d’inventeurs et d’acteurs qui ont le toucher interne et une connaissance profonde de la vie de notre langue. Ils réinventent le temps, l’espace, le corps humain et les pouvoirs du cerveau. Tout vient d’eux. Tout, au théâtre, peut naître à nouveau.

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