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L'Hypothèse Fontenelle / Guardiola


: Quelques extraits de textes

Fontenelle, Dialogue des morts, 1693


CO SME II DE MEDICIS
BERENICE.


CO SME II DE MEDICIS. Je viens d'apprendre de quelques Savans, qui sont morts depuis peu, une nouvelle qui m'afflige beaucoup. Vous savez que Galilée, qui étoit mon mathématicien, avoit découvert de certaines planètes qui tournent autour de Jupiter, auxquelles il donna en mon honneur le nom d'Astres de Médicis. Mais on m'a dit qu'on ne les connoît presque plus sous ce nom-là, et qu'on les appelle simplement satellite de Jupiter. Il faut que le monde soit présentement bien méchant et bien envieux de la gloire d'autrui.


BERENICE. Sans doute, je n'ai guère vu d'effets plus remarquables de sa malignité.


C. DE MÉ. Vous en parlez bien à votre aise, après le bonheur que vous avez eu. Vous aviez fait voeu de couper vos cheveux, si votre mari Ptolomée revenait vainqueur de je ne sais quelle guerre. Il revient, ayant défait ses ennemis ; vous consacrâtes vos cheveux dans un Temple de vénus, et le lendemain, un Mathématicien les fît disparoître, et publia qu'ils avoient été changés en une constellation, qu'il appela la Chevelure de Bérénice. Faire passer des étoiles pour des cheveux d'une femme, c'étoit bien pis que de donner le nom d'un prince à de nouvelles planètes. Cependant votre chevelure a réussi, et ces pauvres astres de Médicis n'ont pu avoir la même fortune.


BÉ. Si je pouvais vous donner ma chevelure céleste, je vous la donnerois pour vous consoler, et même je serois assez généreuse pour ne prétendre pas que vous me fussiez fort obligé de ce présent-là.


C. DE MÉ. Il seroit pourtant considérable, et je voudrois que mon nom fût aussi assuré de vivre que le vôtre.


BÉ. Hélas, quand toutes les constellations porteroient mon nom, en serois-je mieux ? il seroit là haut dans le Ciel, et moi, je n'en serois pas moins ici bas. Les hommes sont plaisans ; ils ne peuvent se dérober à la mort, et ils tâchent à lui dérober deux ou trois syllabes qui leur appartiennent. Voilà une belle chicane qu'il s'avisent de lui faire. Ne vaudroit-il pas mieux qu'ils consentissent de bonne grace à mourir, eux et leurs noms ?


C. DE MÉ. Je ne suis point de votre avis : on ne meurt que le moins qu'il est possible, et tout mort qu'on est, on tâche à tenir encore à la vie par des pierres que l'on a élevées les unes sur les autres, par son tombeau même. On se noie, et on s'accroche à tout cela.


BÉ. Oui, mais les choses qui devroient garantir nos noms de la mort, meurent elles-mêmes à leur manière. A quoi attacherez-vous votre immortalité ? Une ville, un Empire même, ne vous en peut pas bien répondre.


C. DE MÉ. Ce n'est pas une mauvaise invention que de donner son nom à des astres ; ils demeurent toujours.


BÉ. Encore de la manière dont j'en entends parler, les astres eux-mêmes sont-ils sujets à caution. On dit qu'il y en a de nouveaux qui viennent, et d'anciens qui s'en vont ; et vous verrez qu'à la longue, il ne me restera peut-être pas un cheveu dans le Ciel. Du moins ce qui ne peut manquer à nos noms, c'est une mort, pour ainsi dire, grammaticale ; quelques changements de lettres les mettent en état de ne pouvoir plus servir qu'à donner de l'embarras aux Savans. Il y a quelque temps que je vis ici bas des morts qui contestoient avec beaucoup de chaleur l'un contre l'autre. Je m'approchai ; je demandai qui ils étoient, et on me répondit que l'un étoit le grand Constantin, et l'autre un Empereur Barbare. Ils disputoient sur la préférence de leurs grandeurs passées. Constantin disoit qu'il avoit été Empereur de Constantinople ; et le Barbare, qu'il avoit été de Stamboul. Le premier, pour faire valoir sa Constantinople, disoit qu'elle étoit située sur trois Mers, sur le Pont-Euxin, sur le Bosphore de Thrace, et sur la Propontide. L'autre répliquoit que Stamboul commandoit aussi à trois Mers, à la Mer noire, au Détroit, et à la Mer de Marmara. Ce rapport de Constantinople et de Stamboul étonna Constantin : mais après qu'il se fut informé exactement de la situation de Stamboul, il fut encore bien plus surpris de trouver que c'étoit Constantinople, qu'il n'avoit pu reconnaître, à cause du changement des noms, Hélas, s'écria-t-il, j'eusse aussi bien fait de laisser à Constantinople son premier nom de Byzance. Qui démêlera le nom de Constantin dans Stamboul ? Il y tire bien à sa fin.


C. DE MÉ. De bonne foi, vous me consolez un peu, et je me résous à prendre patience. Après tout, puisque nous n'avons pu nous dispenser de mourir, il est assez raisonnable que nos noms meurent aussi ; ils ne sont pas de meilleure condition que nous.




Mallarmé, Proses diverses, Réponses à des enquêtes, 1897


SUR LE COSTUME FEMININ A BICYCLETTE


Que préférez-vous du pantalon masculin ou de la jupe, au triple point de vue de la beauté, de l'hygiène et de la correction ?


Je ne suis, devant votre question, comme devant les chevaucheuses de l'acier, qu'un passant qui se gare, mais si leur mobile est celui de montrer des jambes, je préfère que ce soit d'une jupe relevée, vestige féminin, pas du garçonnier pantalon, que l'éblouissement fonde, me renverse et me darde.




Leslie Kaplan, Toute ma vie j'ai été une femme, P.O.L., 2008


LA FEMME DU MAGAZINE


Une fois j'ai vu dans un magazine une femme qui me ressemblait. Juste un peu, mais elle me ressemblait. Ça m'a fait un effet pas possible. Pourquoi elle me ressemble, je n'arrêtais pas de me répéter ça, pourquoi elle me ressemble. Je la regardais, je notais des détails, je remarquais une chose ou une autre, elle avait un pli au coin de la bouche, moi j'ai le même, je ne sais pas si d'autres pourraient le remarquer, mais moi je le sais, je le remarquais, et aussi la couleur des cheveux, c'est le même brun, enfin, je crois, en tout cas je le sentais pareil, et je n'arrêtais pas de me dire ça, pourquoi elle me ressemble, pourquoi cette femme me ressemble. A la fin je devenais folle. Je n'en pouvais plus, je l'ai raconté à ma meilleure amie, elle a écouté, elle m'a dit, mais tu te demandes pourquoi elle est dans le magazine, et pas toi, c'est ça que tu te demandes, cette femme te ressemble et elle est dans le magazine, c'est ça qui te perturbe, et là ça m'a arrêtée, je me suis dit, oui c'est vrai, elle est dans le magazine et pas moi, c'est pour ça que ça me perturbe. C'est vrai que je ne voyais pas ce qu'elle avait fait pour être là dans le magazine, être là à me ressembler. Ça m'a un peu calmée. Mais après ça m'a repris. Pourquoi elle et pas moi, pourquoi elle est dans le magazine et pas moi, en fait elle n'avait rien fait de spécial, elle était juste dans le magazine, je ne sais plus qui c'était, elle était mariée, elle avait des enfants, elle avait un problème de santé, je ne sais plus, elle était là dans le magazine, et plus j'y pensais, plus ça me rendait malheureuse, elle me ressemblait, pourquoi elle était dans le magazine et pas moi. Son nom était marqué, mais ça ne me disait rien, je ne la connaissais pas, je ne sais pas qui la connaît, mon amie ne la connaissait pas, personne ne le connaissait mais elle était là, elle me ressemblait et ça me rendait malheureuse.
On est dans la société du bonheur et on est malheureux. Tous les jours, tout le temps, il y a des raisons d'être malheureux. Quand on travaille. Quand on ne travaille pas. Quand on a des enfants. Quand on n'a pas d'enfants. Et la santé. Et les vacances. On a tous les jours des raisons d'être insatisfait, malheureux, mécontent. Et là. Cette femme qui me ressemblait, dans le magazine, je ne sais pas pourquoi, ça m'a explosé à la figure.




Entretien (extraits) avec César Luis Menotti par Luis Martin in So Foot n° 92, déc. 2011 / jan 2012.


Avez-vous aussi arrêté le football ?
Ma critique impitoyable d'un football qui renie son essence est finalement récompensée.
(...)
Le football est le seul endroit où j'aime être trompé.
Le football, ce sont trois choses : le temps, l'espace et la tromperie. Mais on ne sait plus jouer avec le temps, on ne recherche plus les espaces, et jamais on ne me mystifie. Je m'ennuie tellement que j'ai l'impression que ce qu'ils appellent football est autre chose. Moi je pense que 99,99% des entraîneurs envient le jeu de Barcelone. Tous voudraient être Guardiola, mais la majorité ne sait pas comment faire.


Guardiola dit qu'avec de bons joueurs...
Un con peut croire cela, moi non. Il ne se contente pas de dire : "Touchez la balle, touchez-la, touchez-la". Ce que réalise Guardiola est bien plus difficile que cela. C'est le produit de l'entraînement, d'idées claires, de cette capacité à savoir se faire comprendre... Il est d'ores et déjà prouvé que Guardiola est plus important que ses joueurs. Lui dit le contraire, bien entendu. Que peut-il dire ? Mais on va rappeler qui était Pedro ou Busquets ? Même Iniesta n'était pas titulaire, il était discuté. Guardiola n'est pas ce qu'il est grâce à ses joueurs. Ce que fait Guardiola est très sérieux, et me rend moi aussi envieux.

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