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L'Homme qui tombe

+ d'infos sur l'adaptation de Olivier Waibel ,

: L'âge de la peur

Après s’être interrogé sur ses racines, le Collectif Crypsum fait le choix de travailler sur l’oeuvre de Don DeLillo, cette narration contemporaine, datable et ancrée dans la réalité des hommes, afin de se confronter au présent. Accepter d’être au présent, c’est accepter d’axer le travail sur cet aujourd’hui, entre dissolution (des espaces, du tissu social, de l’esprit…) et perte (des identités, des valeurs, de la mémoire, de la langue…). Pour dire la complexité de ce temps nouveau, il nous faut désormais accepter d’être au présent comme au futur, par une exploration de la modernité qui interroge le pouvoir de l’image et de l’argent, l’emprise des nouvelles technologies et de la culture de marché sur nos vies, les nouveaux codes sociaux, l’irrationnel omniprésent dans les grands programmes comme dans notre quotidien, l’aliénation… tout ce que Don DeLillo appelle « les formes urbaines de la terreur. »


Construire une mécanique dramatique à partir des scènes de ce roman nous permet d’entrer dans le chaos et de traduire en gestes théâtraux tout ce qui nous définit aujourd’hui, faisant du plateau un endroit où pouvoir penser la grandeur et la démesure de notre monde. En replaçant la politique à hauteur d’homme, en pointant notre besoin d’échapper à la réalité, notre envie d’être quelqu’un d’autre, l’auteur cherche la convulsion, l’inévitable accroc dans la toile du temps pour encourager une réflexion salutaire.


Méditation sur le caractère fragmenté de nos existences et sur les échecs de la raison, ce texte établit un rapport direct avec le lecteur dans l’exposition qu’il fait de ces corps, les nôtres, vidés de leur substance, ne sachant plus ce qu’ils sont, où ils vont. De portrait, c’est celui de l’Occident que fait DeLillo : Occident dont « les armées portent le gène de la destruction », Occident du « brouillard technologique », dont « la conscience est à bout de forces ». Un portrait au présent, qui met en avant l’omniprésence de la peur, une peur devenue consommable, individuelle, puisque la menace peut aussi bien toucher une nation que votre maison. Ce sont ces espaces entre la peur individuelle et la peur collective qui sous-tendent déjà un projet théâtral, capable de donner une représentation de notre civilisation, celle du profit et du court terme.


Dans ce climat de danger, où « même les paranoïaques ont des ennemis », où la religion semble être le masque des intérêts et des affrontements les plus violents, le plus grand des dangers nous reste pourtant proche, familier : c’est celui de la confusion, de l’inanité, du « tout se vaut – rien n’a de sens ». Pour le combattre, le texte de Don DeLillo nous donne les moyens de modifier la conscience que nous avons du monde, de se confronter aux phénomènes de notre modernité et à l’Histoire en train de se faire, avec ou sans nous.


Paradoxalement, l’adaptation de ce texte a pour projet de dire le réel, réel que les illusions d’optique de l’idéologie et de la marchandisation éloignent de nous chaque jour un peu plus. À la manière dont ces tours qui s’écroulent décrivent un mouvement intérieur, une spirale descendante, sans doute sommes-nous tous des hommes qui tombent ; le singulier du titre déjà se disperse, se fragmente, les personnages n’ont plus de repères : les couples qui hésitent, l’enfant qui parle par monosyllabes, ces photos d’identité qui tapissent les murs de la mère malade, la présence récurrente des puzzles, la chronologie bouleversée… Réagir, c’est alors chercher des signes pour dire ce réel, immédiatement faussé par l’image, par la reproduction à l’infini des informations… Puisque tout contribue à disloquer notre présent, ce texte s’installe dans cet ici et maintenant, dans cette nouvelle ère des jours de l’après, ce temps où « tout maintenant se mesure en après ».


En disant la secousse, et la normalité non retrouvée après la secousse, en interrogeant les limites de l’héritage, notre besoin de planifier nos obsessions, de s’affranchir des structures tout en faisant de l’intégration une contrainte dynamique, Don DeLillo, qui a lu Folie et civilisation de Michel Foucault, devient un précieux dramaturge, qui replace au coeur de notre travail le rapport changeant entre réel et fiction et propose ici une anatomie de notre temps, en usant de procédés qui traduisent ce vertige d’aller au coeur du détail pour traquer la vérité.

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