: Entretien avec Alessandro Sciarroni
Propos recueillis par Gilles Amalvi pour le Festival d'Automne
Dans JOSEPH_kids, vous proposez une sorte de parabole du regard, où l’interprète joue sous l’oeil d’une webcam. D’où vient cette idée, et comment est apparu le désir d’en faire une version pour enfants ?
Comme son nom l’indique, JOSEPH_kids est la version
pour enfant de mon premier solo. Ce solo venait
du désir de revenir au jeu, à la performance. J’ai été
acteur pendant dix ans pour la même compagnie
avant de devenir metteur en scène. Du coup, j’étais
habitué à être regardé de l’extérieur. Après avoir
quitté la compagnie, je n’avais plus de vraie nécessité
à être sur scène, puisqu’il n’y avait personne pour
me regarder de l’extérieur. Je suis devenu moi-même
cet oeil, regardant d’autres acteurs de l’extérieur.
Après quelques années, j’ai ressenti le besoin de
jouer à nouveau, mais je ne savais pas comment m’y
prendre. C’est alors que j’ai découvert le principe
tout simple de la webcam, qui permet de se regarder
soi-même comme un autre. Le résultat dans JOSEPH,
c’est un homme tout seul dans l’espace, dansant sur
une chanson, en face d’un ordinateur, et ajoutant
quelques effets très basiques, permettant de déformer
son image – le tout projeté sur grand écran. Et puis
au bout d’un certain temps, j’ai eu envie de présences
réelles, et j’ai ajouté une deuxième partie. Je suis
allé sur ce site, « Chatroulette », qui fait apparaître
des gens sur webcam de manière aléatoire, et j’ai
fait une performance en ligne, déguisé. Sur scène,
le « vrai » public, celui qui est présent dans le théâtre,
me voit par le biais de l’écran en train de faire une
performance pour la personne qui se connecte sur
le site. Le problème, avec « Chatroulette », c’est qu’on
peut tomber sur des gens qui font n’importe quoi
– et en particulier sur des gens qui montrent leur
sexe ou qui se masturbent. Pour moi, l’idée était
d’incarner un personnage déguisé en super héros.
Habillé d’un costume de Batman, je fais une sorte
de danse sentimentale, mélancolique. Il y a un caractère
très intime.
Ensuite c’est un programmateur anglais qui m’a dit
que la première partie serait vraiment géniale pour
un public d’enfants. Pour lui, c’était une manière de
leur montrer qu’on peut être créatif en utilisant des
outils très simples. On parle en général du numérique,
des ordinateurs, comme d’une sous-culture qui rend
les gens bêtes. Moi, je m’en saisis comme d’un moyen
pour faire quelque chose. Du coup il m’a proposé
de réfléchir à une version pour enfants. Afin d’éviter
« Chatroulette », j’ai choisi de travailler avec un autre
interprète en ligne, en utilisant Skype. Et pendant
que l’interprète, sur scène, met son costume de Batman,
celui qui est en ligne met son costume de
Robin. Ensuite, ils mettent le même morceau de
musique, et ils dansent ensemble en tant que Batman
et Robin. Nous l’avons testé à Londres, face à deux
cents enfants – dès quatre ans ! – et ils ont beaucoup
aimé. La caméra est pointée en direction du public,
et ils peuvent donc se voir sur l’écran. Ils ont commencé
à jouer avec la silhouette de l’interprète, avec
leurs mains... À vrai dire, je ne m’attendais pas à ce
qu’un si jeune public soit si réactif. C’est exactement
la même pièce que la version adulte, elle est juste
plus « sûre ». Il n’y a pas cette part d’aléatoire liée à
« Chatroulette ».
Parallèlement à son aspect ludique, cette pièce construit une réflexion sur les nouveaux médias, la solitude, la transformation de l’image de soi...
C’est très intéressant, parce que chacun peut voir cette performance à partir d’un point de vue différent – en fonction de son âge, de ses références culturelles, de son usage des nouvelles technologies. Un public plus jeune, habitué à ces technologies, reçoit peutêtre la pièce davantage au premier degré, et peut la trouver très drôle, là où quelqu’un d’autre y percevra la dimension mélancolique, la solitude. Au fond, il s’agit d’un homme seul en face d’une webcam. Cette variété de perceptions est très importante pour moi, dans la mesure où je n’essaie pas de donner des réponses ou des certitudes vis-à-vis des outils que j’utilise. Cette pièce ne délivre pas un message. Il est très facile d’utiliser ces outils pour les critiquer. Dans le cas de « Chatroulette », on peut tomber sur des moments très bizarres, mais aussi sur des réactions très belles ! En un clic, on reçoit des milliers et des milliers d’auto-portraits ! Et en même temps, ce type de médias oblige à se questionner : quel est le statut de ces portraits ? Les gens ne sont souvent pas conscients qu’ils sont en train d’apparaître dans un spectacle. C’est assez vertigineux, cela porte à controverse. Est-ce que je les manipule ? Est-ce que j’exploite leur image ? Ce genre d’usage n’a sans doute pas été prévu par l’inventeur du site.
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