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Je suis un pays

+ d'infos sur le texte de Vincent Macaigne
mise en scène Vincent Macaigne

: Entretien avec Vincent Macaigne (1/2)

Propos recueillis par David Sanson pour le Festival d'Automne.

En manque comme Je suis un pays sont, dites-vous, des spectacles d'« avant-guerre »...


Vincent Macaigne : Oui, malheureusement, j'ai l'impression que nous sommes devant de grands changements, peut-être positifs, mais aussi de grands troubles (mais nous ne savons pas encore ce que seront les changements positifs, ni les grands troubles). Je me disais ça récemment : il y a eu de grands metteurs en scène d'après-guerre, on a été élevé avec les œuvres de grands artistes qui regardaient une catastrophe, qui faisaient le point sur cette chose-là. La Montagne magique de Thomas Mann est en ce sens un roman ultime, puisque c'est un roman sur l'avant-guerre qui a été fait après-guerre...
Et en ce moment, j'ai l'impression que mon travail devient un travail d'« avant-guerre », comme d'avant une catastrophe. Il y a une espèce d'affolement dans mon travail, de grotesque ou même d'hystérie, des choses presque adolescentes, parce qu'il y a cette chose-là qui, on le sent, va arriver...


Quel est le point commun entre En manque, performance que vous avez présentée à la Ménagerie de verre, à Paris, en 2012, et le spectacle actuel ?


Vincent Macaigne : À l'origine, la Ménagerie de verre m'avait commandé une pièce de danse. Avec les danseurs, petit à petit, j'ai créé un spectacle qui était autour de l'angoisse ou de la solitude. Le En manque d'aujourd'hui n'est pas du tout une re-création, mais un nouveau spectacle.
Au début, l'idée était bien de répéter pendant deux semaines pour reprendre le spectacle de la Ménagerie de verre. Mais en voyant les acteurs, leur énergie, et en entendant ce que j'entendais du monde, il m'est apparu comme une nécessité d'inventer quelque chose qui était comme une sorte d'écho à ce que je ressentais : pas un écho politique au sens « social », bête et méchant, mais un écho poétique. C'est pour cela que ça conti- nue à évoluer en permanence et que ce sera tout le temps le cas, comme avec tous mes spectacles : rien n'est jamais figé en soi dans mon travail, mais aujourd'hui ça l'est moins que jamais.
La reprise à Paris va être à nouveau comme une vraie re-création. On a créé le spectacle dans une salle toute petite, et on va se retrouver dans une très grande salle, ce qui me ter- rifie et en même temps me paraît assez intéressant. Cela permet d'avoir deux rapports au public différents, ça laisse plus d'ouverture, de respiration.


Dans En Manque, il est question d’une fondation qui contiendrait toutes les œuvres de l'histoire de l'art occidental. D’où vous est venue cette idée ?


Vincent Macaigne : Bon, le spectacle ne parle pas du tout de ça, mais disons que tout est parti d'une espèce de petit clin d'œil. Je trouvais drôle cette idée de quelqu'un qui aurait tel- lement défiscalisé que le pays et l’Europe finissent par tomber. Et tout ça pour l'art. Cette personne s'est construite, elle a eu un rêve, et ce rêve s'est déréglé, la nouvelle génération qui arrive ne comprend pas du tout ce qu'elle a mis en place...
Je trouvais ça plus tragique, et plus intéressant, de montrer cette femme qui a dilapidé la fortune de l'Europe comme quelqu'un qui a eu un projet, qui a voulu soutenir un espoir, que d'en faire une grande méchante. Et elle accepte quand même de mourir, pendant le spectacle : l'acceptation de disparaître, c'est quelque chose qui est important pour moi.


Il y a aussi l'idée, qui m'intéresse beaucoup en ce moment, de travailler à ce qui pourrait être une archéologie de notre monde contemporain. En manque est ainsi un spectacle sur l'archéologie d'une fondation. Ne plus être sur les débris du monde d'avant, mais sur ceux de notre monde de maintenant. Que sera un endroit comme la Fondation Vuitton dans deux cents ans ? Qu'est-ce qui va rester de notre propre imaginaire culturel ?
D'autant que le nombre d'artistes n'a jamais été aussi important qu'aujourd'hui...


Vincent Macaigne : Je pense que maintenant, on est vraiment à une ère du remix, où l'artiste agit comme un DJ. Même certains grands artistes sont là-dedans... Dans l'histoire de l'art, on a délaissé l'idée des beaux-arts, la reproduction classique, et en même temps, on a remis tout le monde dans des cadres.
C'est assez étrange, ce mouvement parallèle : on a recréé des cadres en disant que c'était la liberté. Je pense qu'au final, il y a là-dedans un petit truc médiocre. On est en train d'arriver à l'ère du directeur artistique. Je préfèrerai toujours être un mauvais artiste qu'un bon directeur artistique.
Il ne faut jamais renoncer à l'idée de la recherche en art. Ou, plus important encore, à la recherche médicale et scientifique. Il faut faire attention à la manière dont on regarde les talents et les cerveaux qu'on a, à ne pas abandonner la recherche à des entreprises privées. La désintégration de cet espoir-là est un vrai danger. Ça peut ressembler à de la science-fiction, mais c'est la vérité de notre époque.


Revenons à En manque : comment, à partir de ce point de départ, avez-vous ensuite construit votre pièce ?


Vincent Macaigne : Je m'interroge sur des choses, j'ai des sensations, et j'essaie ensuite de raconter, plus ou moins bien, avec les outils que je peux avoir, ce que je veux essayer de dire. Mais d'une manière assez « humble » : si le spectacle change tous les soirs, c'est parce que je me dis que ce n'est pas encore ça, que la structure n'est pas parfaite à mes yeux : je dois donc réécrire, pour trouver la meilleure forme pour être entendu.
C'est aussi parce que le monde bouge tellement qu'il est quand même extrêmement difficile de s'arrêter, de figer les choses. Et puis, chaque soir, les réactions des spectateurs transforment tellement mes spectacles – l'écoute ou la non- écoute, le fait qu'ils rigolent ou pas, tout ça change énormément la représentation...


Vous aimez aussi faire participer les spectateurs – je pense à ce moment du spectacle où le public est invité à monter sur scène pour danser...


Vincent Macaigne : Oui, j'aime bien faire ça – mais surtout pas d'une manière « Club Med » ! Parce que ça troue l'espace-temps du spectacle. Et puis c'est une façon de laver le rapport que les gens ont au théâtre, de leur rappeler mon propre rap- port au théâtre. De trouver le rapport au public le plus honnête possible. Et puis, ça laisse des plages où les gens peuvent s'en aller (sourire).

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