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Je suis / Tu es / Calamity Jane

+ d'infos sur le texte de Nadia Xerri-L
mise en scène Nadia Xerri-L

: Incipit

La jeune fille :
J’avais six ans, je crois. Et j’ai regardé la maison de mes parents. Leurs meubles… Les rideaux… La nappe... Les papiers peints… Les bibelots… beaucoup et partout… Et je n’ai pas compris.
En fait, si, j’ai très bien compris même si je n’avais que six ans : je n’aimais pas leur maison. Tout m’y semblait moche.
Mais pourquoi je n’aimais pas les mêmes choses qu’eux alors que j’étais leur petite ? Qu’est-ce qui, tout à coup, dans mes yeux, dans mon cerveau, avait fait qu’à six ans, j’avais vraiment regardé autour de moi, regarder jusqu’à en penser quelque chose ? Pourquoi, fille de mes parents, je n’étais pas naturellement fondue dans leur monde ? J’ai foncé demander à ma grande sœur et mon grand frère s’ils ne trouvaient rien de bizarre autour d’eux, ne serait-ce que dans la salle à manger ?
Non. Dans la salle à manger, tout est bien. Très joli.
« Très joli » ?
Comment eux et moi, pouvait-on ressentir à partir des mêmes choses des sensations et des émotions si différentes ?
T’as qu’à jouer comme tout le monde et arrêter de lire tes livres qui te mettent dans la tête des choses pas de chez nous !
C’est vrai, je n’avais qu’un rêve : avoir une petite bibliothèque pour y ranger mes livres. Mes frère et sœur l’ont dit à mon père qui à partir de là a répété à chaque repas : qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour avoir une fille pareille qui peut n’être, j’en suis sûr, que la fille du pasteur ! Je souriais, forcément, mais je détestais quand il disait ça. J’ai exactement les mêmes mains et les mêmes pieds que lui… Mais en même temps, Papa avait raison, c’était insupportable pour eux et pour moi : j’étais leur fille sans être une des leurs. Malgré mes efforts. Malgré leurs efforts.
Mais, dès mes dix ans, il y a eu vous, Calamity Jane. Et si je n’étais pas l’enfant de mes parents, j’étais votre fille. Je suis votre fille, Calamity Jane. Depuis le premier article que j’ai lu sur vous, vous êtes ma mère. Et depuis que vous êtes ma mère, je lis tout ce qu’on écrit sur vous. Et on en écrit beaucoup… Et toutes les horreurs qu’on écrit sur vous, que vous êtes bizarre, mal léchée, alcoolique, vantarde et menteuse, me font vous aimer encore plus ! J’ai forcé mon père à m’emmener au Wild West Show à Baltimore pour vous voir galoper, hurler, debout sur votre cheval, envoyer en l’air votre stetson et le trouer de deux balles juste avant de le laisser retomber sur votre tête, abîmé mais impeccable. J’ai toujours avec moi un peu de la sciure qu’a éclaboussée votre cheval. Lui aussi, je suis sûre que vous l’avez appelé Satan comme votre premier cheval. J’aime que vous appeliez tous vos chevaux Satan.
Que je ne sois pas née de votre ventre est une grosse erreur que Dieu a faite, mais vous et moi, Calamity, nous pouvons la réparer. Nous le devons. C’est Dieu lui-même qui me l’a demandé dans mes prières. Il m’a dit : ce soir, je te fais vierge de parents ; ce soir, tu es donc vierge de prénom ; ce soir, je t’ai fait naitre X. Et je me suis mise sur votre route. Et vous vous êtes arrêtée. Mais je ne serai pas votre Little Calamity, petit garçon mort nourrisson. Je ne serai pas non plus votre petite Jessie que vous avez confiée à des religieuses. Non, je vais être Jane. Jane que vous appelez Janey. Votre petite Janey dont chaque nuit, quand vous vous endormez, vous serrez la photo contre vos lèvres. Janey – fille de Martha Jane Canary dit « Calamity Jane » et de James Butler Hickok dit « Wild Bill ».

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