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H.H.

mise en scène Jean-Claude Grumberg

: Entretien avec Jean-Claude Grumberg

propos recueillis par Pierre Notte

H.H., le cheminement.


Dans L’Atelier, j’évoque des personnalités que je connais, que j’ai connues. Je parle de ma mère. De femmes qui se reconnaissent. Je suis plein de scrupules, j’écris dans le respect de l’histoire intime et de faits historiques. Moi je crois pas est une autre histoire, plus librement écrite, plus fictionnelle et plus construite, ce sont des tableaux enchaînés. Il y est question de la perte de la mémoire, du renoncement, de l’érosion des sentiments…


Avec H. H., je me sens plus libre encore et je peux faire bénéficier les spectateurs de mes lectures ! Je vais faire entendre les lettres de Himmler et les poèmes de Heine qui restent hélas trop méconnus ! Le lien entre Moi je crois pas et H.H. est une recherche de liberté, je tente de m’affranchir des règles que je m’impose à moi-même. Mes pièces sont le plus souvent construites, elles peuvent proposer des formats différents, mais ici, dans H.H., le mode d’entrée dans l’histoire est plus ouvert. La pièce ne comporte pas de noms de personnages. On peut la jouer à deux ou à neuf. Elle est écrite pour les jeunes gens des écoles de théâtre, pour les amateurs et les troupes de tous genres. Elle est jouée parfois dans des conseils municipaux !


Jusqu’où peut-on aller au théâtre dans une provocation qui va générer le malaise ? Au vingtième siècle, le scientifique Montandon expose «les tares des juifs», théorie que reprendront les nazis. Face à Une leçon de savoir vivre, qui évoquait ces thèses, les spectateurs parfois ne savaient plus négocier avec leur émotion. On peut être saisi d’effroi, d’horreur au théâtre. Je veux rendre un climat d’humanité et de vie possible en exposant le pire de l’humain. Ici, la question c’est : que va devenir demain notre mémoire ? Il me semblait essentiel de faire entendre et connaître ces lettres d’Himmler. Je veux pouvoir faire théâtre de ces choses authentiques, historiques, les faire entendre en les intégrant dans une provocation, une farce. L’établissement s’appellera « H.H. ». Et finalement, tout le monde trouvera ça beaucoup mieux ! Heine, c’est emmerdant. Himmler, c’est un peu un problème. « H.H. », ça va, ça ne pose plus aucun problème. C’est l’ironie de l’histoire qui me passionne. Au théâtre, je veux partager cette joie de comprendre inutilement les choses. Le théâtre ne protège pas, n’éduque pas, mais nous en sortons heureux d’avoir compris, appris, même inutilement les ironies de l’Histoire et les ordures humaines.


Le conseil municipal et les lettres de Himmler, à l’origine de H.H..


J’imagine un conseil municipal où les membres se déchirent autour des initiales à graver sur le fronton d’un collège. Là, on fait la proposition de nommer un établissement scolaire le « collège Heinrich Himmler » parce qu’il est né là, dans cette ville, qu’il a failli être professeur dans ce collège… J’ai écrit une première scène, comme une blague. Mais la question est plausible aujourd’hui, alors qu’on vit dans une banalisation et une ignorance effroyable de l’Histoire.


H.H., c’est en quelque sorte un portrait de la régression possible. J’avais lu les lettres de Himmler - au moment où Himmler écrit ces lettres, Beckett écrit aussi. Je veux dire que tout n’est pas toujours perdu !- Je cherchais par quelle manière faire entendre les mots de cet homme-là, dont on peut dire qu’il est moins connu qu’Hitler. Il est le nazi pâle, la cheville ouvrière méconnue du nazisme. C’est un triste bonhomme, un monstre qui vacille quand on lui montre des cadavres. Je ne voulais pas être le seul à connaître cet Himmler-là. Le poète Heine écrivait un siècle plus tôt des poèmes bouleversants d’humour, de sensibilité, de lucidité sur l’humain et sur lui-même. Je voulais confronter ces deux figures. Je ne savais pas comment faire. Je voulais interroger la mémoire : que restera-t-il de tout cela ? De Heine, de Himmler, dans cinquante ans ?


Éradiquer les juifs, la chose possible


La haine des juifs est toujours au centre de tout cela. Heine se convertit pour entrer dans la société, et il se trouve interdit pour des raisons politiques de son vivant, puis parce qu’il est juif un siècle plus tard par Himmler et les siens. Les nazis décrèteront que La Lorelei, qui appartient au patrimoine culturel et à la mémoire de chaque élève allemand, est soudain une oeuvre anonyme ! On peut aussi reprocher au jury de l’école des Beaux-Arts d’avoir recalé l’artiste peintre que se voulait Hitler. Goebbels, lui, voulait être un homme de théâtre. Il a fondé une troupe pour libérer le théâtre allemand des juifs. Il discutait théâtre dans les cafés branchés où on peut même imaginer qu’il a rencontré Brecht, par l’intermédiaire d’un de leurs amis communs, le dramaturge Bronner.


D’un autre côté, la poignée des fondateurs de l’Union Soviétique faisait croire à des millions de gens qu’ils habitaient une terre promise ; on peut admirer et suivre des monstres. Pour l’instant, la monstruosité des nazis est reconnue comme particulière, mais pour combien de temps ? Les juifs à l’époque, comme aujourd’hui, représentaient bien moins d’un pour cent de l’humanité. C’est parce que les juifs sont une quantité négligeable qu’on a pu envisager de les exterminer. En France, dans ces années-là, toutes les droites sont alors opposées. Il y a une droite sociale, une autre bonapartiste ou royaliste… mais une seule chose les réunit toutes : l’antisémitisme. Les juifs en Europe, ont été quasiment exterminés complètement. C’est inimaginable ! Cela est arrivé, parce que cela a été envisageable. Himmler est une personnalité trop méconnue. Et l’ensemble de la population était d’accord avec lui. On voyait des enfants, des vieillards, qu’on emmenait dans des trains, et tout le monde se doutait bien qu’on n’allait pas leur demander de ramasser des pommes de terre. Il y avait une sorte d’acquiescement. Ce n’était pas si terrible. C’est cette passivité, cette chose-là, cet acquiescement dont il est question.

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