: Projet artistique : un pont entre nos identités
Il y a quelque chose de plus empirique qu'à l'accoutumée dans la manière dont j'ai décidé de construire ce nouveau, projet. D'abord parce qu'il s'est imposé à moi comme la conséquence d'un constat politique. Deux questions se sont alors posées : comment renouer avec l'aventure collective dont nous nous sentons coupés, et faire du théâtre, à l'encontre du marasme social, une force génératrice d'enthousiasme et de niaque ? Comment reconquérir, à travers les représentations que nous donnons du monde, « la part des fous » qui échoit aux artistes ? Oriza Hirata est cet artiste japonais qui, à la fin des années soixante-dix, âgé de seize ans, entreprit de faire le tour du monde à bicyclette. De cet inconcevable périple, il a forgé la matière même de son théâtre : de grandes pièces où des collectivités azimutées s'escriment à tuer le temps qui reste à vivre, des fresques « jet-laguées », de compulsifs malentendus dans d'infortunés zoos humains.
Ce que prône Oriza Hirata, c'est une
nouvelle idée de la représentation,
loin de toute aspiration sentimentale
et loin des modèles d'un théâtre
métaphorique.
Il y a, dans ce théâtre qui glorifie le
dialogue de sourds, une langue millimétrée
que restitue admirablement
la traduction de Rose-Marie Makino-
Fayolle — incontournable traductrice
des oeuvres de Yoko Ogawa — de
sorte qu'on doit l'appréhender
comme une partition chirurgicale -
des incises, des groupes de paroles
superposés, des univers déjantés
qu'on pourrait comparer à certains
films de Jean-Luc Godard.
Mon désir de questionner le théâtre de Hirata est à l'image d'une plongée : un précipité dans un imaginaire ralliant des codes dont nous, artistes français, pouvons nous sentir étrangers. De ce théâtre venu d'ailleurs, cousu d'angoisses susceptibles de provoquer d'irrépressibles fous rires tant les situations et les personnages qu'il s'arroge tendent à l'absurde — entendre : le banal poussé dans ses retranchements —, de ce théâtre advient l'empathie, quelque chose comme une catharsis qui ferait pont entre nos identités.
Franck Dimech
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