: Entretien avec Gildas Milin
Aude Lavigne : Gildas Milin, pouvez vous nous présenter le spectacle au titre encore provisoire, Force faible, que vous allez jouer au Théâtre de la Bastille ?
Gildas Milin : C’est une porte ouverte sur un très
grand projet que je suis entrain d’écrire. C’est
une saga qui commence avec la ruée vers l’Ouest
dans l’univers du western. Je dirais que c’est une
interrogation sur un troisième sexe, sur la féminité
et sur le cyborg*.
L’histoire est la suivante : un cyborg qui se
prend pour une femme, mais qui est peut être
porteur d’une autre sexualité, s’interroge sur les
deux parties qui le constitue, à savoir une partie
machine et une partie humaine. Le personnage,
qui s’appelle Rose, monte un cabaret dans lequel
il s’interroge sur ses origines. Ce qui le ramène
très loin en arrière en 1840, entre 1840 et 1860
aux États-Unis au moment où les pionniers
traversent le continent américain pour aller en
Californie et en Pennsylvanie. Cette héroïne
effectue sa traversée en solitaire, monte un cabaret,
et vit des histoires absolument dingues qui parfois
confi nent à la nuit des morts vivants, où tous les
styles sont confondus, du western au fi lm d’horreur,
en passant par le concert rock.
A. L : C’est une sorte de fable ?
G. M : C’est une fable qui s’inspire d’histoires
vraies qui m’ont passionné. Je me suis beaucoup
documenté et j’ai découvert qu’il y a une femme
noire, qui a réussi à faire la traversée seule. Elle
est devenue blanchisseuse et a fait fortune dans le
linge. Elle envoyait beaucoup de son argent vers
des communautés noires pour les inviter à faire la
traversée.
Il y a un autre épisode réel que je raconte, il est très
important pour la neurobiologie, et le spectacle
est aussi lié à des questions scientifi ques. Un
contremaître, Phinéas Gage, qui travaillait pour la
compagnie de chemin de fer la plus importante de
l’époque Righton and Burlington railroad company
a un accident. C’est un spécialiste en dynamite, et
donc un jour, il se retourne, quelqu’un lui parle, tout
le sable n’a pas été versé dans le trou et l’explosion
se produit. La barre à mine va lui traverser la tête,
elle lui passe à travers la joue. Une barre à mine,
ça fait quand même trois centimètres de diamètre,
c’est énorme. Elle va lui sectionner le nerf optique
gauche et elle va ressortir par le lobe pré-frontal.
Il a un trou dans le crâne et il perd une partie de
sa matière cérébrale. Mais contre toute attente,
Phinéas Gage est toujours vivant. Il parle, il marche
et il n’a pas plus de problème que ça. Un médecin
va s’intéresser à son cas, il s’appelle John Harlow.
Il se rend compte que c’est le même homme, mais
que ce n’est plus le même homme. C’est-à-dire que
tous ses comportements ont changé, son rapport
au monde social a complètement changé et il va
comprendre, petit à petit, qu’il est dans l’incapacité
de faire des choix. Il ne peut plus opérer de choix
parce qu’il a perdu la sphère du choix. Et ainsi en
un an, il descend de l’échelle de la survie sociale
et se retrouve dans l’incapacité de ne rien faire.
Il fi nira dans un cirque, un peu comme Elephant Man, à exhiber son trou pour de l’argent. Un
des premiers épisodes de mon histoire, c’est une
conférence à la faculté de Boston dans laquelle ce
scientifi que explique ce qui est arrivé à Phinéas
Gage. Notre héroïne, Rose, qui n’a rien à voir avec
tout ça, va croiser par une série de péripéties, le
destin de ce médecin.
Donc le spectacle est une série d’épisodes qui constituent une très grande histoire avec
beaucoup de moments où il y a des phénomènes
de transmutation d’âmes, où les gens changent de
corps, une âme va d’un corps à un autre, etc. C’est
un spectacle sur des phénomènes paranormaux.
Je pourrais dire que l’histoire du spectacle, c’est
comment un cyborg se pose des questions sur
son devenir à partir d’une interrogation qui s’est
passée derrière lui.
A. L : Quelle forme le spectacle va-t-il prendre au Théâtre de Bastille, ça sera évolutif ou ça sera juste une étape de cette épopée ?
G. M : Je ne sais pas bien encore, il y aura cinq
musiciens. Cela peut être un concert, on donnera
quelque chose dans l’idée d’un cabaret, mais cela
peut aussi être un vrai happening. Comme il est
présenté sur trois soirées, ce sera peut-être trois
épisodes différents. Il est très diffi cile pour moi de
parler d’une forme précise…
Mais l’univers parlera d’une femme à travers
différentes époques, parlera d’univers multidimensionnels,
du rapport entre les vivants et les
morts, du rapport entre les machines et les vivants
et il y aura une forme probablement assez rock.
Entretien avec Aude Lavigne, juillet 2008
* Cyborg est un mot d’origine anglaise, contraction de « cybernetic organism ». Le terme cyborg a été popularisé par Manfred E. Clynes et Nathan S. Kline en 1960 lorsqu’ils se référaient au concept d’un humain « amélioré » qui pourrait survivre dans des environnements extraterrestres. Ce concept est le résultat d’une réfl exion sur la nécessité d’une relation intime entre l’humain et la machine, à l’heure des débuts de l’exploration spatiale. Le cyborg est la fusion de l’être organique et de la machine. Tout d’abord créature de science-fi ction, le cyborg serait, selon certains, d’ores et déjà une réalité. Une personne ayant un stimulateur cardiaque ou une hanche artifi cielle, par exemple, peut déjà correspondre à cette définition.
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