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Et si je les tuais tous Madame ?

mise en scène Aristide Tarnagda

: Entretien avec Aristide Tanargda

Propos recueillis par Jean-François Perrier

Vous êtes comédien et êtes, cette année, invité au Festival d’Avignon comme auteur et metteur en scène. Comment s’est fait le passage entre vos différentes activités artistiques?


Aristide Tarnagda : Comme toujours un peu par hasard mais, surtout, grâce à ma rencontre avec Lamine Diarra au Festival d’Avignon en 2007. À partir de cette date, nos chemins ne se sont plus quittés, lui me mettant en scène comme acteur et vice versa. L’an dernier, j’ai joué sous sa direction une pièce de Koffi Kwahulé, Les Déconnards. Parallèlement à nos répétitions, je me suis lancé dans l’écriture d’une nouvelle pièce, Et si je les tuais tous Madame ?, que je présente cette année au Festival et dont Lamine Diarra est l’interprète, aux côtés de trois autres artistes burkinabés. Ce texte est en quelque sorte le pendant de celui que j’avais lu à Avignon en 2007, Les larmes du ciel d’août. Si l’écriture est arrivée très tôt dans ma vie, il n’en a pas été de même avec la mise en scène : je ne voulais pas me lancer dans une telle aventure avant de me sentir réellement prêt. Et si je les tuais tous Madame ? est la troisième pièce que je monte moi-même, après un premier spectacle au Centre culturel français de Ouagadougou sur un texte inspiré par l’histoire vraie de «filles-mères-célibataires» vivant à Casablanca, ainsi qu’un deuxième travail réalisé en France à la suite d’un mois de résidence sur le site de l’usine Riz Lacroix de Mazères-sur-Salat, en Haute-Garonne, dans le cadre d’un projet appelé Mémoires d’usine initié par le collectif Autre sens.


Vous dites avoir commencé à écrire très tôt. Le faisiez-vous pour vous ou pensiez-vous déjà à un public?


Mes premiers textes datent de 2004 et étaient, dès leur origine, pensés à destination des autres. J’ai toujours considéré que le partage était l’un des fondements de la pratique artistique. C’est pour cela que le théâtre m’est apparu comme le lieu où je devais m’inscrire. J’y suis arrivé comme comédien amateur, grâce à un professeur de philosophie qui voulait créer une troupe culturelle au lycée avec des élèves volontaires. Comme il n’y avait pas beaucoup de personnes enthousiasmées par son projet, j’ai été désigné volontaire, avec d’autres camarades, par mon professeur de français monsieur Poda. Cela s’est révélé être une grande chance. C’est avec lui que j’ai découvert l’art dramatique. Je suis devenu professionnel en intégrant la troupe de Jean-Pierre Guinagané. Mon désir d’écrire était antérieur à cette découverte, mais je ne savais pas comment faire. C’est en pratiquant le théâtre et en le lisant aussi, que m’est venue cette pratique de l’écriture dramatique, dont je n’ai jamais abandonné l’exercice.


Quels sont les auteurs qui vous ont le plus marqué?


Sans hésitation, Koltès. Mais c’est Koffi Kwahulé, l’auteur franco-ivoirien, qui m’a donné la force de prendre mon stylo.


Votre pièce, Et si je les tuais tous Madame? se présente comme un monologue à plusieurs personnages…


Pour moi, ce n’est pas un monologue, même si la forme que j’ai donnée au texte peut prêter à confusion. Selon moi, c’est la parole d’un homme dans la rue, qui interpelle une femme au volant de sa voiture. À travers ses mots, il convoque son père, sa mère, son ami, sa femme qui seront, eux aussi, d’une certaine manière, présents sur scène. Je me suis toutefois autorisé à dédoubler ces personnages, en faisant en sorte que le héros puisse aussi, parfois, être la voix de son père ou de son ami, puisque nous sommes dans un monde rêvé. Tous ces personnages sont bien évidemment dans sa tête – la tête d’un homme qui a dû quitter son pays –, mais ils ont aussi une réalité de chair, quelque part, ailleurs.


Tous ces personnages, famille et amis, sont bien inscrits dans la vie du héros. Mais qu’en est-il de cette femme au volant de sa voiture, à laquelle il s’adresse sans obtenir la moindre réponse?


On ne sait pas vraiment. Elle peut tout aussi bien être une femme occidentale, qu’une femme burkinabée, car il y a beaucoup de femmes à Ouagadougou au volant de leur voiture. Je n’ai pas voulu fermer le sens en précisant trop les origines de mes personnages. Il faut pouvoir partir de ce feu rouge, pour aller partout dans le monde. À Varsovie ou à Pékin, aux États-Unis ou en Côte d’Ivoire, étant donné qu’il y a des gens déplacés partout dans le monde.


Votre héros est-il un exilé?


Oui, puisque, je le répète, il y a des exilés partout dans le monde. L’Afrique n’a pas le monopole de l’exil. On peut également être exilé à l’intérieur de son propre pays. Je viens d’un petit village du centre-est du Burkina Faso, Soumagou. Lorsque j’ai dû partir de chez moi pour entreprendre des études de sociologie à la capitale, j’ai ressenti ce même déchirement que si j’étais parti à l’étranger. Entre mon village et Ouagadougou, il y a autant de différence qu’entre Ouagadougou et Paris… De la même façon, lorsque je me rends au Congo, je suis perdu, à tout point de vue : les langues sont différentes, les coutumes, les traditions, les odeurs… Et pourtant nous sommes tous africains!


Lamine pourrait-il être exilé dans son propre pays?


C’est une possibilité qui est offerte au spectateur.


Vous dites que la pièce se passe dans le court intervalle entre le feu rouge et le feu vert d’un feu de signalisation routière…


Au théâtre, on peut étirer le temps sans avoir à se justifier.


Dans votre spectacle, les musiciens sont présents sur le plateau. Pourquoi avoir fait ce choix?


J’ai assez vite eu l’intuition qu’une présence musicale soutiendrait bien le texte au plateau. J’ai donc choisi, pour incarner ce texte et les différents personnages qui le composent, des «musiciens-comédiens». Dans toutes mes mises en scène, il y a une part musicale importante. Plus qu’une simple ambiance sonore, la musique est totalement intégrée au reste de la dramaturgie. Il me fallait donc des complices que j’ai trouvés en la personne d’Hamidou Bonssa, dont j’apprécie les chansons d’inspiration traditionnelle, et des membres de Faso Kombat, dont la parole engagée me va droit au coeur.


L’histoire intime de Lamine ne raconte-t-elle pas aussi une histoire plus vaste : celle du monde tel que vous le voyez?


Ce qui m’intéresse à travers l’histoire de Lamine, à travers cette biographie imaginaire, c’est de parler de ce qui se passe dans mon pays. Malheureusement, c’est aussi ce qui se passe dans de très nombreux pays du monde, dans l’hémisphère Nord comme dans l’hémisphère Sud, c’est-à-dire l’insolente richesse d’une petite minorité face à la misère du plus grand nombre. Récemment j’étais dans un petit village du Burkina Faso où la pompe à eau collective était en panne, privant le village d’eau courante, alors que, juste à quelques mètres, une maison somptueuse disposait de la climatisation… Cette violence au quotidien est au coeur de mon projet artistique : cette société fracturée, fragmentée… Évidemment au théâtre, cette réalité doit être transposée. Elle doit devenir une poétique : c’est là que j’invente Lamine, le héros imaginaire de Et si je les tuais tous Madame?


Vous parlez de valeurs ancestrales qui disparaissent. Auxquelles pensez-vous exactement?


Les valeurs de solidarité existent encore, mais à partir du moment où l’argent devient la valeur suprême, c’est l’âme du pays qui est atteinte. Ce n’est pas caractéristique du Burkina Faso, bien évidemment, mais je ne peux parler que du cas de mon pays. Le respect pour les anciens, pour les sages, disparaît au profit du respect pour ceux qui ont de l’argent. Même l’enfant, qui était une valeur collective, devient un enjeu privé. Avant, les familles, au sens très élargi du terme, s’occupaient des enfants. La famille passait avant l’argent. L’eau, la terre, l’air et le feu ne s’achetaient pas. Mais la marche vers un monde régi par la manne financière entraîne notre pays dans une spirale complexe, qui ne pourra être vaincue que par des programmes éducatifs d’importance.


Dans Et si je les tuais tous Madame? vous faites dire à Lamine que «les artistes sont dans la boue». Qu’entendez-vous par là?


Simplement qu’il est difficile économiquement, socialement et politiquement parlant de se revendiquer comme artiste. Étant donné qu’il me paraît nécessaire qu’il y ait, dans toute société, des gens qui bousculent, qui questionnent, qui dérangent, je crois profondément à la nécessité de l’artiste. Mais cette position, on la lui fait payer cher, quel que soit le pays, quels que soient les hommes politiques…


Comment expliquez-vous que le Burkina Faso puisse avoir une vie culturelle et artistique aussi importante?


Je pense que la révolution sankarienne y est pour beaucoup. Sankara avait une foi en la culture. Il pensait que la culture pouvait être un levier essentiel pour le développement du pays. Sous son impulsion, on a construit des théâtres populaires dans chaque ville, on a multiplié les festivals de théâtre, de danse et de cinéma, on a créé des prix littéraires, on a aidé les groupes musicaux. Mais il y a aussi les initiatives et les combats de grands hommes de cultures de notre pays tels : Sotigui Kouyaté, Jean-Pierre Guingané, Prosper Compaoré, Amadou Bourou, Idrissa Ouédraogo, Gaston Kaboré, Étienne Minoungou, Salia Sanou, Seydou Boro et bien d’autres, qui ont crée des festivals, des écoles, et des lieux de diffusion qui permettent la transmission. Il y a eu une émulation dans la jeunesse et dans la population qui s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui.


Ce développement culturel n’est-il pas aussi lié aux liens établis avec l’extérieur?


En effet, car ceux qui nous ont précédés – ces artistes engagés – ont voyagé et, surtout, ont fait venir au Burkina Faso des oeuvres artistiques fortes, qui ont permis des confrontations très enrichissantes. Aujourd’hui, nous jouons souvent à guichet fermé lorsque nous présentons nos travaux à Ouagadougou, que ce soit dans un théâtre, au sein de quartiers populaires ou tout simplement chez l’habitant. Les spectateurs de ces représentations théâtrales sont très divers, curieux et fidèle. C’est aussi le cas pour la musique et pour la danse.

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