: Le Projet
Nous faisons du théâtre pour parler du
monde tel qu’il est. Jamais cette nécessité
ne nous a paru aussi urgente.
Notre projet traite de la situation des sanspapiers
en France aujourd’hui.
Nous souhaitons témoigner de ce que vivent
ces hommes, ces femmes et ces enfants,
et interroger ce qui, dans la mise en
oeuvre de sa politique, permet au gouvernement
français d’agir sans susciter d’opposition
massive.
Comme toute politique, la politique migratoire
française produit ses effets dans
le réel. Ce qui nous intéresse, c’est la façon
dont ces effets sont difficilement observables,
tant les dirigeants politiques
semblent soucieux de les dissimuler,
d’en brouiller la perception – ceci de trois
manières :
— les lois et les règlements manquent de
clarté et obligent les agents chargés de les
exécuter à une interprétation subjective ;
— aucun citoyen n’est autorisé à pénétrer
dans les centres de rétention, hormis
les membres d’associations et les députés
(qui n’usent pour la plupart jamais de ce
droit) ;
—le discours politique déréalise l’existence
des sans-papiers et les violences qui leur
sont faites, par exemple via le lexique des
« flux », des « chiffres » et des « quotas ».
Ces dispositifs ne sont pas ignorés : on
peut, par le moyen d’Internet, de la presse,
des rapports d’associations, y avoir accès.
Pourquoi n’en mesure-t-on alors, en tant
que citoyens, ni l’impact ni la gravité ?
Nous répondons que ce réel fabrique de
la fiction – c’est-à-dire que cet ensemble
de moyens politiques, légaux, rhétoriques,
crée de fausses représentations en maintenant hors de notre conscience les humiliations infligées aux sans-papiers. A son tour, cette fiction accentue la mise à distance de la réalité vécue par les sans-papiers : elle les éloigne de nous.
Notre projet est précisément de retourner cet enchaînement de causes et de conséquences : il s’agira pour nous, en passant par la fiction, de rendre réel pour le spectateur ce qui, dans le réel, lui apparaît comme une fiction.
Si l’histoire d’ELDORADO DIT LE POLICIER est inventée, c’est qu’elle obéit à une construction dramaturgique. Mais elle s’appuie également sur des éléments documentaires : elle s’inspire d’un certain nombre de « faits divers » qui ne renvoient nullement à un traitement journalistique de notre sujet, mais à la nécessité d’apporter, pour chaque événement relaté, la preuve incontestable de son existence.
En juillet 2004, plusieurs demandeurs d’asile sont arrêtés au guichet de la préfecture de Paris alors qu’ils y avaient été convoqués pour un réexamen de leur situation administrative.
En 2005, la Police aux frontières tente de faire embarquer de force une jeune femme d’origine congolaise demandant l’asile politique, sans lui laisser le temps de faire valoir sa demande. La jeune femme, enceinte, est injuriée, tirée par les vêtements, les bras et les cheveux.
Le 30 janvier 2007, sur ordre du procureur de la République, la police organise une rafle place de la République à Paris, au moment où les Restos du Coeur y distribuent leurs repas. Vingt-et-une personnes sont interpellées.
Le 20 mars 2007, la police arrête devant la maternelle Rampal à Paris un homme d’origine chinoise venu chercher ses petits-enfants à l’école. Des parents présents avec leurs enfants tentent de s’interposer, la police asperge la rue de gaz lacrymogène et les brutalise. Trois jours plus tard, la directrice de l’école est placée en garde à vue pour « outrage et dégradation de biens publics en réunion ».
Le 9 août 2007, à Amiens, un jeune garçon de douze ans tombe d’un balcon du quatrième étage en tentant d’échapper à des policiers venus appréhender sa famille.
En septembre 2008, la police reconduit un homme en Algérie alors qu’il s’apprête à épouser une femme de nationalité française avec laquelle il vit depuis trois ans. L’expulsion a lieu quelques jours avant la publication des bans.
Il ne s’agit là que d’exemples auxquels notre choix ne se limite pas, mais qui inscrivent notre projet dans une logique de témoignage.
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