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Accueil de « Duetto5 - Toute ma vie j'ai été une femme »

: Le Spectacle

DUETTO 5 – Verba volant (Les paroles volent)
la menace de la perte fait qu'on demeure éveillé!



«Le théâtre est depuis tout temps et de différentes manières un endroit d’interrogation sur le réel. C’est l’instant théâtral. C’est s’étonner du présent. On n’a pas tellement l’occasion de s’étonner dans la vie. Le théâtre parle de ce moment-là, du visage humain –avoir le visage humain en face de soi- de la parole. Les acteurs doivent s’étonner d’être dans l’espace, c’est-à-dire s’étonner d’être au monde, c’est pareil.»
VALERE NOVARINA, extrait d’interview



1. LE PRESENT, LE REEL, LA REPRESENTATION. DEUX FEMMES.


Nous pensions au présent, qu'est-ce qui nous fait nous sentir présent au présent ?


  • Le plaisir, parce qu'il abolit le temps et la durée, qu'il est infini dans l'instant ;
  • l'acte, parce qu'il donne corps au présent, qu'il le découpe ;
  • et puis l'attention, l'attention qu'on prête au présent.

Qu’est-ce que deux actrices peuvent raconter aujourd’hui en essayant de refuser d’endosser une robe de mariée ou de reine, une fonction de mère, de femme fatale, de maîtresse ou de fille de. (Telles Bartelby dans la nouvelle de Melville, «nous préférerions ne pas»).


Nous nous sommes mises à l’ouvrage, comme deux chimistes qui expérimenteraient les images des femmes véhiculées par la société et le théâtre. Qu’est-ce que sont «les personnages attribués aux femmes» et comment s’en défaire ?


Nous avons inventé un jeu : entendre et avaler tous ces mots que l’on avale au quotidien, au supermarché, dans les journaux, la publicité, dans la rue ; les avaler et voir ce qu’ils produisent dans un espace de jeu, passant par nos corps et notre parole.
Nous avons joué avec les couleurs et les matières du quotidien, nous les avons utilisés autrement pour en faire des soupes de couleurs et de matières.
Un corps réceptacle de mots et d’images, qui se transforme à vue d’œil.


Quelque chose de l’ordre de la performance est apparu et se réinvente à chaque fois.


2. LA PAROLE / LES MOTS


« Happyderm mousse euphorisante aux phitodorphines booster de bien-être cutané texture chantilly 100% plaisir, New skin 10 ans de moins, crème d’énergie aux pigments réflecteurs de lumière. L’agneau Gaulois sans os, en tranche sans os, épaule désossé, 4 tranches d’épaules ultra jour intense nuit cuit dans le filet, reconstruit une peau plus ferme, à la broche, à l’acide glycolique, à l’étouffé, aux nanaosomes de prorétynol cuisiné à l’os, kit resurfaçant renovateur de peau aux micro-cristaux d’acides d’aluminium, La Tradition Age Reverse crème anti-âge, anti-relachement, remodelant, complexe hydrovital, au torchon le jambon étouffé, 6 tranches dégraissées, fumé, faisselle finesse Mousse perle fine Sveltesse secret Chronodraine brûle graisse à la minciduline stimule le destockage stop graisse à la sveltéine limite le restockage des graisses avec embout massant effet glaçon Minceur active Brûleur intensif sans couenne »


Nous avons collecté des listes sonores avec les titres de journaux et de revues d’actualité, des compilations de supermarché.
Nous avons travaillé cette matière textuelle, dès que l’on pouvait (salle polyvalente, buanderie, jardin, théâtre aussi...)
Sur un principe très simple d’improvisation :
prendre tout au premier degré,
prendre un produit et voir ce qu’il produit,
décoller les mots des produits,
déplacer les couleurs des images,
se laisser traverser par les promesses de métamorphose,
être partie prenante de tout ce qui se passe.
Premier énoncé : tout mot a un pouvoir de métamorphose et tout produit a un effet immédiat, magique, à partir du moment où l’on prononce son nom ou le mot qui le désigne.
Les objets de la consommation quotidienne et la publicité sont devenus de nouveaux dieux, les formules de composition des crèmes de nouvelles formules magiques, les sonorités des corn-flakes une nouvelle prière (pour se réveiller)…


Le quotidien a pris la forme d’un conte.


«Parce que l’on n’est pas si bien adapté à la vie qu’on nous le fait dire, surtout dans notre société où on a l’impression que «tout baigne», qu’il suffit d’acheter, de consommer. Les gens sentent bien qu’ils sont des étrangers, qu’ils font semblant d’être ici.»
VALERE NOVARINA, extrait d’interview



Nous avons travaillé à partir de textes ou de réflexions de Valère Novarina, Rodrigo Garcia, Jenny Holzer ou Andy Warhol. Leslie Kaplan nous a écrit des textes appelés Consommations et Consommations 2, et certains extraits de Rodrigo Garcia sont restés.


3. LA PUBLICITE, LA TELEVISION. L’IMAGE DANS LA REPRESENTATION.


« Je suppose que je fais partie de mon époque, de ma culture, comme les fusées et la télévision. »
ANDY WARHOL


 «(…l’écran,) derrière sa petite vitre, dans sa petite rosace rectangulaire, comme une peinture sur verre et un vitrail pour les gens d’aujourd’hui. Ces images nous enseignent et nous réunissent : chacun solitaire devant son petit autel domestique, tous cependant rassemblés comme dans une grande architecture invisible. La télévision est la cathédrale du XXème siècle.»
VALERE NOVARINA, Notre parole


La télévision fait croire qu’elle rassemble, elle sert de leurre à la solitude. Elle invente le reality show qui serait donc le spectacle de la réalité.
L'écran protège, et le spectateur devient voyeur et passif.
Voyeurisme, passivité, humiliation.
Les exemples se multiplient sans cesse, comme cette histoire lue dans un journal : un fabricant d’électroménager japonais fait une installation dans le magasin Harrod’s à Londres : une famille virtuelle, élue sur Internet, vivra une semaine dans un appartement, vitré, aménagé dans le magasin même. Les clients pourront les regarder utiliser l’électroménager dudit fabricant.


La publicité fabrique tous les jours des femmes virtuelles, des objets de consommation. Apparaissent des corps parfaits et des corps pas encore parfaits, morcelés… images de peaux craquelées, de cellulite envahissante, de peaux cabossées et meurtries qu’une crème miracle va aplanir, faire disparaître pour que le corps devienne parfait.


En le regardant de près, ce réel est fou. En le décollant de sa surface, il devient surréaliste, drôle.
À ce moment là, la surface ne se décolle pas, et derrière on voit du vide, du néant, de l’infini.


Avec Bruno Geslin, vidéaste et photographe avant d’être metteur en scène, nous nous sommes posés plusieurs questions sur la fabrication des images et leurs supports de projection (la télé, l’écran, la nature, les corps…). Que devient le plat en tri-dimension? la surface quand on lui ajoute de la matière? les motifs quand on les prive de leur contexte?


Bruno Geslin est présent à chaque représentation avec sa caméra. En direct il filme et conçoit un montage de 4 à 5 minutes qui évolue d'une représentation à l'autre, et que les gens voient à la fin dans la télévision. Les images du spectacle à peine vues en direct se regardent dans un téléviseur, décalant la perception de ce à quoi on vient d'assister. Que reste-t-il d'une chose vue? La chose vue dans la télévision est-elle la même que celle que je vois sur une scène? Quels sont ces instants saisis et déjà morts ?…

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