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Débris

mise en scène Baptiste Girard

: Jouer à un avenir meilleur

Durant ma deuxième année d'étude à l'éstba - Ecole Supérieure de Théâtre de Bordeaux en Aquitaine, Dominique Pitoiset nous a demandé de créer un projet personnel. La consigne : 25 minutes, un lieu, seul face au public. C'était donc un espace libre qui nous était offert là, un espace qu'il fallait saisir, une occasion de travailler, seul, à un théâtre qui nous appartienne.


Je voulais parler de mon rapport au monde. Je cherchais un texte qui interpelle et émeuve. Un théâtre qui ne soit pas tendre mais qui revendique bel et bien une parole, qui donne la parole à des hommes de notre temps. Et j'ai découvert Débris de Dennis Kelly. A la lecture, j'ai été profondément ému, fasciné aussi par l'horreur, et la dérision « so british » de ce texte. Cyniquement drôle. On n’y parle pas d'horreur avec horreur, mais avec finesse et humour. Après avoir travaillé et adapté le texte pour ne raconter que l'histoire du frère, après l'avoir joué, il m'était impossible de l'abandonner. J’en avais exploré une partie, il fallait - c'était une nécessité, il le fallait - monter ce texte, en entier. Le solo n'étant, de ce fait, qu'une première étape d’une future création.


Débris, ou l’auscultation d'un monde malade. Avec la télévision qui hypnotise, la recherche des souvenirs d’une mère morte à la naissance, la découverte de l'amour par l'horreur... Dennis Kelly montre une famille démunie, où les notions d'éducation et de transmission n'existent pas. Ces parents sont assis là, devant la télé, regardant la vie qu'ils voudraient avoir tout en baignant dans celle qu'ils détestent. Alors l’avenir se poursuit dans le rien, l'éducation des enfants est cédée à la télévision. A travers la description de la relation frère/soeur, Dennis Kelly nous raconte comment ils ont appris à trouver un sens et une place dans ce monde.


Cette réalité-là bouleverse. Elle montre l'horreur du quotidien de l'homme qui ne se rend plus compte combien il se détruit lui-même. Il y a du Ken Loach dans cette écriture là. Dans cette triste misère, la démerde est joyeuse. Et du David Lynch aussi, dans les images absurdes, fantaisistes et décalées. Comme si le réel était sublimé par l'imaginaire.


Je suis très souvent touché par les récits de travailleurs sociaux : les familles qu'ils visitent, les bébés qu'ils récupèrent en bas des HLM en hiver à moitié nus, avec quelques affaires dans un sac poubelle… Des histoires où les parents oublient leurs enfants, préférant boire, et qui, plus tard, leur tapent dessus. On pense toujours que ces histoires sont du cinéma ; ça se passe pourtant dans l'appartement du voisin.


Tout va se jouer dans une cuisine. Le lieu de paroles dans une famille. Là où les disputes débutent, où les journées se racontent. Ce pourrait aussi être leur chambre, écrin de leurs rêves et de leurs secrets. Ils nous ont invités à dîner, ils nous attendent. L'espace est simple, une table, deux chaises, un peu de nourriture et à boire. Je cherche à créer une intimité, car c'est bien une confession à laquelle on va assister, pas de celles que l'on hurle mais de celles que l'on raconte en confiance. Michael et Michelle vont nous parler droit dans les yeux. La parole est incarnée ; les spectateurs doivent avoir la sensation que ce sont de vraies personnes qui leur parlent.


Le texte et les images auxquelles il renvoie sont durs, certes, mais il y a l'humour. C'est avec détachement que Michael raconte l'auto-crucifixion de son père. Pour ces enfants, pas de gravité, c'est leur quotidien, leur enfance, alors tout est normal. Ils racontent, c'est tout. Le spectateur est troublé par l’opposition entre ce qu'ils disent et la fantaisie qu'ils expriment. La parole est maitrisée, tendue, les images précises, les nuances incisives. L'écriture fonctionne sur l'expression du souvenir. Elle cherche, passe du passé au présent. Ils racontent et, parfois submergés par leur récit, ils revivent l'action racontée. Ils mettent de la musique, dansent, se chamaillent. Moment de respiration pour le spectateur et moment de vie surtout qui prend le relais de la parole pour une minute.


La mise en scène s’appuiera sur l’idée de l'enfance, dans sa simplicité, sa naïveté, sa légèreté et tout autant sa gravité et sa puissance d’imaginaire. Le torchon posé là, mis en boule et bercé dans les bras de Michael, deviendra le petit bébé Débris, le paquet de chips retourné deviendra le chapeau de Mister Smart and Smile, un bout de journal collé sur les dents et ce sera Onclenri les dents pourries. Tout cela doit nourrir un moment de vie riche et intense. Ils font du théâtre en fait, ils jouent à jouer, à s'imaginer un avenir meilleur, pour ne pas se morfondre. Ce doit être fulgurant. C'est dit. C'est ainsi.


Nous travaillerons donc à un théâtre très direct, droit. Ce projet, au sortir de l'école, est plein de nos rêves de jeunes adultes, de nos espoirs et du constat que ce monde avance trop vite. Nous ne cherchons pas les larmes, pas d'apitoiement, seulement dire, avec passion, amour, humour, pour qu'en face on frissonne. Mais nous voulons aussi montrer l'espoir de Michael et Michelle : celui de réaliser leurs envies, leurs désirs, d'exprimer leur soif d'amour et d'avenir, comme nous.


Ce moment de vie sera ponctué des musiques et sons de François Praud, comédien et musicien rencontré à l'école. Nous avons déjà collaboré à deux reprises sur des projets théâtraux. Il éclairera de ces musiques cette histoire, qui pourra, de ces notes, devenir comme une comptine, une berceuse - un rêve ?


C'est donc un projet d'envol, plein de nos idéaux et de ce théâtre que l'on veut défendre : un théâtre de la simplicité, impliqué dans sa société. Un projet d'acteurs. On nous a donné des outils, et nous allons les utiliser. On va nous donner la parole et nous allons la prendre.

Baptiste Girard

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