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D'après une histoire vraie

+ d'infos sur le texte de Christian Rizzo
mise en scène Christian Rizzo

: Entretien avec Christian Rizzo

Propos recueillis par Renan Benyamina

Quel est le point de départ de votre nouvelle création, D’après une histoire vraie?


Cela remonte à assez loin. J’assistais à un spectacle, il y a quelques années à Istanbul, dans lequel a soudain jailli un groupe d’hommes se livrant à une sorte de danse traditionnelle, complètement effrénée, avant de disparaître aussitôt. Je suis resté bouche bée, dans un état émotionnel intense qui n’a rien à voir avec les émotions que je ressens habituellement au théâtre. Il s’agissait d’une sensation beaucoup plus brute, archaïque. Celle-ci s’est très vite évaporée, mais je porte encore le souvenir de cet état, qui ressurgit régulièrement dans des situations du quotidien. Je l’ai depuis inventé, surinventé. Cela a créé quelque chose en moi, une petite faille, qui se rouvre désormais souvent. Je me retrouve dans des situations comme des mariages où des groupes d’hommes se mettent à danser et je me dis : «C’est exactement ça!» De fil en aiguille, j’ai eu envie de questionner cette sensation : qu’a pu provoquer en moi cette puissance masculine de groupe, que je n’aime pourtant pas spécialement sur un plateau. Sur scène, je n’aime pas montrer des corps glorieux, je préfère les corps abandonnés, fragiles, se fragilisant. Je me suis retrouvé face à un paradoxe et, par conséquent, avec l’embryon d’un projet. Pour moi, chaque projet commence par un paradoxe.


Votre dernière pièce était un solo pour un danseur turc, Kerem Gelebek. Existe-t-il un lien entre les deux spectacles?


Cet événement à Istanbul a constitué un starter, qui a réveillé autre chose. Le fait que cela se soit déroulé à Istanbul n’est pas anodin. Il s’agit d’une destination qui m’attirait beaucoup, où j’aurais sans doute pu vivre comme j’ai vécu à Lisbonne, il y a vingt ans. Cela m’a plongé dans un questionnement sur le souvenir et l’ailleurs et, bien malgré moi, sur la Méditerranée, qui fait écho à mon histoire personnelle, puisque j’ai une famille italo-espagnole née au Maroc. Cette histoire intime n’a jamais été un thème, mais elle ressurgit régulièrement : peut-être suis-je en train de chercher, de reconstituer un territoire qui serait le mien, alors même que je ne le connais pas. Si je crée des spectacles, c’est que je me cherche un territoire. Afin d’amorcer le travail sur la pièce, je suis parti avec Kerem Gelebek à Istanbul. Nous avons observé des danses traditionnelles, de clans, nous les avons expérimentées. J’ai très envie de réfléchir à des motifs dansés et j’ai demandé à Kerem d’être le réceptacle de cette banque de données que nous avons constituée, qu’il soit le porteur d’une matrice à donner aux autres. Je tenais à ce que tous les interprètes commencent la création avec un bagage commun, ce que je fais rarement. Bien que nous ayons effectué ce temps de recherche ensemble, Kerem aura le même statut que les autres interprètes sur le plateau.


Qui sont les interprètes de D’après une histoire vraie?


Pour cette pièce, je souhaitais travailler avec des gens que je ne connaissais pas. C’est la raison pour laquelle j’ai organisé des auditions. Je voulais vraiment changer mes habitudes, rencontrer de nouveaux interprètes. Depuis Le Bénéfice du doute et le solo pour Kerem, Sakinan Göze Çop Batar, je me méfie des habitudes. J’ai le sentiment que, désormais, les choses sont devant moi. La majorité des danseurs de D’après une histoire vraie, sont originaires de pays du pourtour méditerranéen. Il n’y a que des hommes, choisis au regard de petites choses. Je suis très parieur. J’aime beaucoup travailler avec des gens que je n’ai jamais vu danser ; cela me permet de ne pas avoir de projection sur eux. Dans l’annonce de l’audition, j’avais simplement mentionné que la pratique de danses folkloriques était bienvenue.


Quelle place donnez-vous à la musique dans cette création?


Mon folklore à moi, c’est le rock. Pendant les répétitions, nous parlons beaucoup de rock, du tribal rock, du headbanging, cette danse qui repose sur de violents mouvements de tête telle qu’on peut la voir dans les concerts de hard rock. Les huit danseurs sont accompagnés sur scène par deux batteurs, Didier Ambact et King Q4, qui parlent la même langue musicale que moi. Nous avons, par exemple, évoqué ensemble un groupe de rock expérimental, les Swans, qui avaient deux batteurs. La question de la transe m’intéresse beaucoup, dans sa dimension rock, mais aussi son traitement par la musique sérielle. La musique du spectacle est en train de s’écrire, elle procède d’inspirations qui pourraient être antagonistes, telles que «Steve Reich fait du dub» ou «Un groupe de hardcore fait de la musique liturgique». Je suis à ce croisement-là. Derrière la question folklorique, ce sont les constances entre toutes les danses qui m’intéressent. Pour des danses minimales sur du djembé, on parle de danse folklorique, alors que par exemple, sur du Steve Reich, elles pourraient être associées à de la danse postmoderne américaine. Le cadre, le point de vue, donnent ou non de la validité aux formes et les rangent dans des catégories telles que «populaires» ou «avant-gardistes». La question de ces catégories m’agace beaucoup. Je trouve intéressant, dans ce projet, de complètement et constamment déplacer le cadre, le curseur. Musicalement, j’ai toujours travaillé avec des choses très populaires. Il n’y a rien d’avant-gardiste ou d’élitiste à montrer un corps fragile qui se bat simplement avec l’espace pour tenir debout.


La danse semble très présente lorsque vous évoquez la pièce…


C’est en effet une pièce dansée. Depuis Le Bénéfice du doute, où les objets étaient relégués en hauteur pour dégager le plateau, la danse est l’enjeu central de mon travail. Cette fois, il est fort possible qu’il n’y ait aucun décor, mis à part les deux batteurs face à face. Je ne pars qu’avec des corps et des principes chorégraphiques. J’ai envie d’une danse tellurique, qui creuse le sol en même temps qu’elle cherche l’élévation. Une double spirale qui monte et descend, qui creuse et s’élève. Une danse qui tente de résoudre la question de la gravité, de la chute, non pas en se battant contre, mais en l’acceptant. La question de l’être ensemble est centrale. Les danses à partir desquelles nous avons travaillé sont empruntées au populaire, au sens où elles sont partagées, appropriées par tous. Elles sont avant tout le socle pour une écriture abstraite. La virtuosité ou la performance ne m’intéressent pas : il ne s’agit pas d’éblouir avec des danses du ventre ou de derviches tourneurs. Ce que je cherche avant tout, c’est créer du lien. Je vois des rondes, des choses très tenues, main dans la main, pour avancer. Le Bénéfice du doute s’achevait sur une danse folklorique interprétée sur une musique techno assez dure. De nombreux spectateurs y ont vu une danse de leur pays : les Bretons de la danse bretonne, les Basques de la danse basque, les Grecs un sirtaki délirant. Il y a toujours dans ces danses des mouvements, extrêmement archaïques, qui réunissent à coup sûr : taper des pieds, lever les bras en l’air, joindre les mains, tourner. L’écriture appartient à une culture, mais le mouvement non. Peut-on inventer une danse folklorique qui ne revendique aucune culture précise, qui ne peut exister que sur un plateau? Je crois que ce sont là les questions importantes que je me pose actuellement.


La Méditerranée est au coeur de nombreux enjeux géopolitiques et de l’actualité. Cela traverse-t-il votre pièce?


J’en suis conscient, je m’interroge beaucoup sur les révolutions arabes, sur les rapports entre l’Europe et la Méditerranée, mais cela n’a rien à voir avec cette pièce. Celle-ci répond à un désir, à ce que j’ai envie d’expérimenter aujourd’hui : tout simplement ces huit hommes, les deux batteurs et moi qui les réunis. Comme souvent, je pense que le résultat de ce travail sera un solo incarné par huit personnes. Je cherche avec eux ma propre façon de dire «je». Je travaille comme on écrit un journal, au fur et à mesure. Ce qui fait acte et sens, ce n’est pas tellement ce qui est écrit chaque jour, mais l’ensemble. Je sens que je vais trouver avec eux les vraies raisons de mon excitation dans ce projet.

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