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Current Location

+ d'infos sur le texte de Toshiki Okada
mise en scène Toshiki Okada

: Entretien avec Toshiki Okada

Propos recueillis par Barbara Turquier pour le Festival d'Automne

Vous avez écrit que Current Location ouvrait un nouveau chapitre de votre carrière. Pour quelle raison ?


Toshiki Okada : Avant, je ne m’intéressais pas à la fiction, au fait de raconter des histoires. Current Location est la première pièce pour laquelle je me suis intéressé à la fiction. La raison de cela, c’est que j’ai vécu un changement après la catastrophe du 11 mars 2011 et l’accident nucléaire qui s’en est suivi. Après cette catastrophe, j’ai changé ma manière de voir le théâtre et son rôle dans la société. J’ai commencé à m’intéresser au fait de placer une fiction devant le public – c’est-à-dire devant la société. J’espère ainsi créer une tension entre cette fiction et la société.


En quel sens entendez-vous le mot fiction ? Est-ce une réalité alternative, quelque chose de totalement imaginaire... ?


Toshiki Okada : C’est quelque chose qui ne s’est pas produit en réalité, mais qui peut donner au public l’occasion de réfléchir. C’est cela, l’effet et le sens de la fiction. Avant 2011, ce n’est pas ce que je pensais. Je pense aujourd’hui qu’une société après une catastrophe a besoin de fiction, a besoin d’une tension avec quelque chose. La fiction est le meilleur moyen de créer une tension avec la société.


La pièce, dîtes-vous, se déroule dans un univers de science-fiction. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans la science-fiction ? Avez-vous été inspiré par certains livres ou films ?


Toshiki Okada : Quand j’ai eu l’idée de créer une fiction, la science-fiction était un objectif. C’est-à-dire que je ne voulais pas seulement créer une histoire fictionnelle à une petite échelle, mais créer une histoire complètement irréelle. Je ne sais pas dans quelle mesure Current Location est véritablement de la science-fiction, mais c’est à cela que je pensais en la montant.


On y parle de rumeurs, d’un village damné, de la question de la croyance en une réalité peu assurée...


Toshiki Okada : Cela provient du tremblement de terre et de l’accident nucléaire. Comme les radiations sont invisibles, c’était facile pour certaines personnes qui n’y croyaient pas de ne pas voir la réalité. D’autres, au contraire, pensaient que c’était une situation extrêmement dangereuse. Donc nous, les Japonais, nous vivons exactement la même situation que celle qui est présentée dans Current Location.


Dans Current Location, le public est sur scène. Quel rôle joue-t-il ?


Toshiki Okada : La raison de mon intérêt pour la fiction est la relation qu’elle crée avec le public. Si l’on met en scène une fiction de façon classique, cette relation se produit. Mais, d’une certaine façon, je ne pouvais pas me résoudre à faire cela. Je n’aurais pas complètement cru à cet effet. Je voulais que le public comprenne l’effet de cette expérience de la fiction, en voyant la pièce. C’est pourquoi Current Location ne montre pas seulement l’histoire, mais aussi la relation entre l’histoire et le public.


Dans Current Location et Ground and Floor, comment avez-vous abordé la chorégraphie ? Pouvez-vous nous parler du processus créatif avec les acteurs ?


Toshiki Okada : Je n’aime pas le rapport conventionnel du mouvement au langage. Ce type de mouvement ne me convainc pas. Le mouvement que j’apprécie est celui qui se tient à une distance appropriée du langage. Lorsque je crée un mouvement avec les acteurs, je leur demande de faire un mouvement qui provient d’une image qu’ils ont en tête, et pas d’un discours. Les acteurs de Current Location et de Ground and Floor connaissent très bien ma méthode. La plupart d’entre eux travaillent avec moi depuis longtemps. Non seulement ils comprennent ma méthode, mais ils ont leur propre interprétation de ma méthode, donc ils ont leur propre méthode maintenant ! Il y a cinq ans, c’était donc facile pour moi de vous décrire la façon dont nous créions le mouvement pour une pièce, parce que je leur disais quelque chose qu’ils apprenaient. Aujourd’hui, je ne suis plus certain de la façon dont ils travaillent. Mon critère, c’est : est-ce que j’aime ou non ce qu’ils font ? Est-ce que cela me convainc ou non ?


Quel était le point de départ de Ground and Floor ?


Toshiki Okada : Ma curiosité à l’égard de la fiction se poursuit. Après Current Location, je voulais réussir à faire une pièce avec cette même curiosité. Mais la différence avec Current Location réside dans l’utilisation de la musique, et dans sa relation avec la pièce. Pour Current Location, j’avais travaillé avec le groupe Sangatsu et j’avais aimé leur travail. Ils utilisent une guitare, une basse et une batterie, donc ils ressemblent à un groupe de rock sauf qu’ils utilisent ces instruments de façon expérimentale. J’étais satisfait de notre collaboration et je voulais aller plus loin, leur donner un plus grand rôle. La musique était très importante, mais elle était en toile de fond, elle était moins importante que la pièce. Pour Ground and Floor, je voulais qu’elle vienne au premier plan. Parfois, les musiciens venaient aux répétitions et improvisaient en regardant le spectacle. La musique dans la pièce précédente était plutôt calme, presque silencieuse, et là je ne voulais pas qu’elle soit timide. Parfois, elle dérange la pièce à cause de sa présence, et cela m’intéresse d’être dérangé par la musique.


Que signifie le titre de la pièce ?


Toshiki Okada : Le sol (ground) est immobile, le plancher (floor) est mobile. L’histoire de la pièce tourne autour de la mobilité : est-ce que vous quittez le pays dans lequel vous êtes né ou est-ce que vous restez ? Si vous pensez que votre pays est devenu dangereux, il est possible que vous vouliez partir. Mais cela crée des problèmes. Il y a dans Ground and Floor un personnage de fantôme : une femme morte qui dort sous la terre. Elle a besoin de l’aide des vivants. C’est le fantôme d’une mère, qui a deux fils. Elle veut qu’ils s’occupent d’elle. L’un des deux fils s’acquitte bien de cette tâche, et l’autre non, il veut quitter cet endroit. Lui et sa femme ne pensent pas qu’il y ait de l’espoir à rester. Donc ils sont confrontés à un problème : ils veulent partir, mais il y a des choses qu’ils doivent faire.


Comment votre rapport au langage a-t-il évolué ces dernières années ? Pour Ground and Floor, vous dîtes que les personnages sont comme quelques « rares locuteurs du japonais, dans un monde où ils ont tous presque disparu ». Pouvez-vous nous en dire plus ?


Toshiki Okada : Ces temps-ci, je suis préoccupé par l’idée que la langue japonaise va disparaître. Après avoir fait l’expérience de la catastrophe et de la faillite du gouvernement, je me suis rendu compte que je ne pouvais plus compter sur eux. À cause de ce gouvernement pitoyable, la langue japonaise pourrait disparaître. Par ailleurs, depuis environ six ans, j’ai eu l’opportunité de montrer mes pièces à l’étranger – et tout particulièrement en Europe. Je parle japonais, mais je sais que presque personne ne comprend le texte. Le public voit le spectacle et entend la langue, et je trouve cela très intéressant, curieux, bizarre même. Donc cette idée du langage dans Ground and Floor provient de mon inquiétude à l’égard du japonais et de mon expérience en Europe.

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