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Corps otages

+ d'infos sur le texte de Jalila Baccar
mise en scène Fadhel Jaïbi

: Fable

C’est dans un pays béni par les dieux que l’histoire se déroule.
Il est si petit par sa superficie que certains cartographes ont omis de le placer sur leurs cartes, mais si grand par son Histoire qu’il a donné son nom à tout un continent. Il est si beau que les visiteurs de tous les pays du monde affluent par caravanes entières pour profiter de la douceur de son climat, des parfums de ses vergers, des sables d’or de ses plages innombrables, de sa mer couleur azur… On se bouscule à ses frontières pour savourer les délices de sa pâtisserie parfumée à la fleur d’oranger ou siroter un petit verre d’alcool de figue accompagné d’un petit bout d’œufs de poisson séchés …mmmm.


Mais tout cela ne serait que pure propagande pour prospectus touristiques s’il n’y avait réellement derrière tout cela un peuple si hospitalier, si gentil, si serviable que certaines visiteuses venues pour une semaine s’y installent pour la vie et que certains voyageurs admiratifs des forces vives du pays y reviennent pour toutes leurs vacances. Un pays si gai, si gâté par la nature que les catastrophes le contournent sans l’atteindre. Un pays qu’on ne cite dans les journaux télévisés du monde entier que pour parler des performances de son équipe nationale de football, du dynamisme de ses hommes d’affaires et bien sûr et surtout de l’incroyable épanouissement de sa création artistique et culturelle à tous les niveaux et dans toutes les disciplines.

Un pays si calme, si stable que ses habitants ont oublié ce que voulait dire une vague. Ils se sont mis à prier nuit et jour, avec une si grande ferveur pour que ce bonheur dure le plus longtemps possible.
Mais un jour, au moment où ils s’y attendaient le moins, l’inconcevable, l’innommable se produisit, plongeant tout le pays dans la douleur et la consternation…
La consternation céda vite la place à la panique et même à l’hystérie. Le bruit se propagea tel l’éclair…
Les écoles, les lycées, les facs, les bureaux, les magasins et les souks furent désertés. Les pâtisseries, les pizzerias et les cafés furent fermés. Les rues, les voitures, les bus, les trains et les métros furent envahis par une foule terrorisée qui tentait de regagner son gîte et se terrer pour regarder les infos sur AL-JAZIRA, AL-ARABIA, CNN, et même TF1 si PPDA le veut bien. Une jeune enseignante voilée depuis deux ans, venait de se faire exploser sous le drapeau dans la cour de son lycée, un vendredi après la prière. La police arrêta aussitôt tous ceux qui gravitaient autour d’elle…
AMAL, une des deux amies qui partageaient le même appartement que la suicidée, était bien connue des renseignements généraux et de la police politique.
Rentrée de France un an plus tôt, elle avait été arrêtée à l’aéroport, mise au secret et interrogée pendant une semaine avant d’être relâchée.
Fille de deux grands militants de gauche des années 70, AMAL fut renvoyée de l’Université de Tunis, après la seconde Intifadha, pour activités subversives. Partie en France en 2000, elle y rencontre Allah. L’Islam, dont sa culture marxiste et la laïcité militante de ses parents la tenaient à distance, la fascine tant qu’elle passe d’un gauchisme pur à un islamisme dur, au grand dam de ses parents. La rupture sera vite consommée.
Sa quête identitaire, attisée par le double ressentiment idéologique et politique, excitée par les déclins et les défaites arabes successives, ajoutée à sa rencontre avec un jeune français orientaliste tiers-mondiste, conquis par une islamophilie galopante, la jettent dans les bras de la Nébuleuse Islamiste et ses grands desseins planétaires. Elle sera « sauvée » par le Soufisme, forme soft et spirituelle d’un Islam contemplatif.
Son activisme religieux initial fera d’elle un suspect de premier plan dans l’enquête sur les motifs religieux et politiques du suicide de sa co-locataire.
Ses interrogatoires, répétés et musclés ainsi que ceux de ses jeunes amis tunisiens confondus d’activisme islamiste, ne permettent pas encore à la police politique d’élucider les causes, demeurées mystérieuses, de l’attentat suicide.
Se démenant comme une forcenée entre prison, où sa fille est incarcérée en attendant son procès, et hôpital où le mari se bat entre vie et mort contre un cancer de la gorge, MARIAM, la mère de AMAL, aidée d’une amie avocate, entame sa propre contre-enquête pour essayer de sauver sa fille. Elle entreprend alors une véritable descente aux enfers dans une cité qui a totalement changé et dans laquelle elle n’a plus de repères.
Son enquête se transforme vite en une quête personnelle sur les décombres des rêves assassinés de sa génération. Elle mesure l’étendue du gâchis et fait son propre examen de conscience, lorsqu’elle rencontre fortuitement un des anciens tortionnaires de son mari. Celui-ci la ramène de plein fouet à un passé que la réalité quotidienne tendait à chasser et à une juste appréciation de l’homo sapiens.
Elle s’attachera paradoxalement au vieux tortionnaire comme la victime à son bourreau et verra quelque part en lui une partie d’elle-même. A mesure que l’enquête sur sa fille et les autres s’enlise, le pays menace de sombrer dans le chaos d’un islamisme annoncé. A la complicité active ou passive de ses amis d’hier, la volonté d’un pouvoir politique affairiste entretenant tous les silences et les confusions sur ses responsabilités, s’ajoute la bénédiction d’un Occident plus schizophrène et cynique que jamais.


Service Communication de l’ODÉON

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