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Confidences

mise en scène Katia Delay Groulx

: Entretien avec Katia Delay Groulx

Anne-Pascale Mittaz: Comment travailles-tu ce texte qui n’est pas un texte théâtral? Y aura-t-il un travail de montage ?


Katia Delay Groulx: En effet, la question de l’adaptation est centrale, car au niveau de la construction dramatique, il n’y a rien. Confidences est un collage d’entretiens, mais sans la retranscription des questions et de interventions de Marie-José Imsand Popescu. Il n’y a donc aucun dialogue.


Comme Marcel et Marie-José Imsand m’ont donné carte blanche, j’ai pu m’emparer du texte librement. J’ai été très respectueuse du texte original dans le sens où, à l’intérieur d’une phrase, je n’ai changé aucune virgule. Par contre, j’ai pris beaucoup de libertés par rapport au montage. C’est-à-dire que j’ai déconstruit le texte original en n’en gardant que les deux tiers. J’ai également fait un énorme travail de « couper-coller », afin de reconstruire une sorte d’histoire, une structure de récit. Je me suis dit que le récit le plus logique par rapport à ce texte était le récit d’une vie, soit les trois moments que sont l’enfance, l’âge adulte et un âge plus mûr. Pour chaque paragraphe, je me suis posé deux questions : est-ce que je le garde ? et si oui, dans quelle partie je le place ?


La partie « enfance » relate ainsi les racines, les références au lieu de naissance et d’enfance. Elle concerne les premières visions du monde. Marcel Imsand parle beaucoup des paysages, des lieux, des atmosphères et des personnes qui ont peuplé son enfance : sa grand-mère, les ouvriers sortant de l’usine, … Il évoque des gens dont on ne connaît pas les noms, mais qui sont fondatrices de son regard. Enfant unique, je l’ai imaginé assez solitaire, même si il ne dit pas qu’il l’était…


La deuxième partie concerne l’âge adulte. C’est tout ce qui fait, qu’à un moment donné, on construit son propre destin, sa propre vie, son propre chemin à travers un certain nombre de rencontres, que ce soit avec des collègues, des amis, … Pour Imsand, ce sont aussi des rencontres avec des personnalités célèbres qui l’ont énormément touché et dont il parle très volontiers, comme Barbara, Béjart… Il relate souvent ces rencontres. Dans cette deuxième partie, on trouve l’idée des chemins déterminés par le hasard de rencontres ou déterminés par un désir très fort d’arriver quelque part. C’est là que se situe le fameux choix de faire de la photographie : c’est un moment charnière, un moment presque dramatique au sens étymologique du terme. Ces moments clés qui font que, tout à coup, on décide de tout lâcher, d’essayer de prendre un chemin qui n’est pas tracé, qui peut faire peur, sont un thème important dans ce spectacle.


La troisième partie correspond à l’âge plus mûr. Elle réunit tous les paragraphes plus introspectifs, philosophiques. Elle pose un regard rétrospectif sur sa vie. C’est ce qu’il n’aurait pas pu dire à 30 ans, mais qu’il dira plus tard. Cette partie clôt le spectacle. Mais je me suis permise des répétitions : il y a des phrases qui reviennent plusieurs fois dans le spectacle comme, par exemple, un petit paragraphe qui se trouve au début et que l’on retrouve à la fin ; il me permet de boucler la boucle par rapport à son échange avec sa fille ; c’est aussi une manière de dire que les racines sont l’endroit où on finit toujours par retourner, une manière de parler de l’aspect cyclique de la vie. La dernière phrase du livre parle de son père. Il y a donc quelque chose de complètement circulaire qu’il me plaît de formaliser dans la mise en scène.


Comment conçois-tu la répartition de la parole entre les deux comédiens professionnels et les Anonymes Magnifiques ?


La majeure partie du texte sera portée par Jean-Marc Morel qui joue le rôle du photographe. Une partie du texte sera prise en charge par Ariane Laramée qui joue la femme ou la fille, le féminin. Dans l’adaptation, j’ai pris la liberté de mettre certains passages à la deuxième personne du singulier, alors qu’ils étaient à la première personne du singulier. Ces passages seront énoncés par Ariane Laramée. Ce procédé m’a permis d’introduire du dialogue, sinon ce n’était qu’un long monologue accompagné par la présence muette de la fille, ce qui n’était pas suffisant.


Dans l’adaptation, je me suis amusée avec certaines phrases emblématiques qui ressemblent à des dictons, à des proverbes. Il y en a un certain nombre. Je les ai mises dans la bouche d’autres personnages qui seront incarnés par les amateurs. Ce procédé n’a pas encore été testé et, pour le moment, je ne sais pas si cela va fonctionner. Mais j’aimerai bien qu’il y ait une prise en charge de certaines phrases par les Anonymes Magnifiques.



Comment abordes-tu les répétitions ?


Il y a eu une première lecture en octobre 2008 avec Jean-Marc Morel et Ariane Laramée. Cette étape nous a permis de tester si le texte énoncé avait une valeur. Je me suis rendue compte que oui, mais en partie seulement : il y avait des choses que je n’avais pas envie de dire sur le plateau ou qui «sonnaient» mal une fois énnoncées. D’où aussi l’élagage. Cette étape a permis également de voir qu’il fallait adapter le texte pour que le dialogue puisse vivre, que la relation au niveau verbal puisse se faire. Ainsi ça m’a permis d’avoir une idée plus précise pour déterminer à qui le texte s’adressait.


Il y aura donc des moments très introspectifs où le personnage de Jean-Marc Morel se parlera à lui-même. A d’autres moments, il parlera à sa fille. Il y a aussi un enfant dans la distribution et donc, à certaines occasions, il parlera à lui-même enfant. Ou alors il parlera à des gens qu’il rencontre, un balayeur de rue, un chauffeur de taxi, … ces «monsieur et madame tout le monde» incarnés par les Anonymes Magnifiques. Par contre, il y aura très peu d’adresses au public au final. Mais tout cela est encore flou et beaucoup de choses peuvent encore changer quand à l’organisation de la parole.


En novembre 2008, j’ai commencé à travailler avec les Anonymes Magnifiques rencontrés grâce à des petites-annonces. Je voulais avoir une réserve de matériaux scéniques dans laquelle puiser des idées, des images, des sons, des gestes, des mouvements, etc. Donc depuis novembre, je travaille avec eux environ 3-4 fois par mois sur la base d’improvisations dirigées où je donne des thèmes qui sont liés au livre ou des images d’Imsand desquelles s’inspirer. On invente une gestuelle en groupe ou de manière plus individuelle. Au final, il y aura pas mal de présences des Anonymes Magnifiques. C’est un peu un grand réservoir d’images où je travaille la signification des corps dans l’espace, sans verbe. D’où la collaboration artistique avec Philippe Saire pour cette partie importante du spectacle.


La troisième étape se fera en parallèle avec les deux comédiens et les amateurs à partir de la mi-mars. On travaillera à temps plein avec Ariane et Jean-Marc ; certains soirs et week-ends nous rejoindront les amateurs. C’est la dernière étape.


Comment vas-tu aborder la question du regard, du point de vue si cher à Imsand ?


Outre le texte qui en parlera, formellement il y aura plusieurs explorations pour essayer de parler de cette question. Il y aura bien sûr l’adresse verbale, mais aussi plus simplement des personnes sur le plateau qui se regardent. Cela inclut la question du rythme. Nous cherchons à travailler sur une forme de lenteur avec des fulgurances, des accélérations pour essayer de saisir l’importance de prendre beaucoup de temps avant d’arriver à saisir quelque chose de minuscule mais de juste. Il est donc question de tempo, de rythmes. On travaille à se regarder : comment je regarde les gens ? Comment je regarde le monde ? Les premières secondes du spectacle sont d’ailleurs un enfant qui regarde ; il se passera des choses qu’il regardera simplement.


La lumière aura également un rôle important sur la question du point de vue. La scénographie sera extrêmement sobre. La lumière découpera l’espace beaucoup plus que la scénographie elle-même. J’aimerais travailler sur l’idée du cadrage qui est, évidemment, au centre du travail photographique, non pas en utilisant des cadres sur la scène et des personnes qui passent derrière, mais au moyen de la lumière.


La lumière est omniprésente dans le texte. Elle fait référence à plusieurs choses et peut être très métaphorique : il y a la lumière du jour au sens premier, mais aussi la lumière intérieure et les changements de lumière comme métaphore des étapes de vie, comme métaphore d’un état d’âme. Imsand parle souvent de la pluie, d’un temps gris pour évoquer un paysage intérieur. J’aimerais travailler sur le fait que les personnages entrent dans la lumière, plutôt que d’imaginer une lumière qui les suit.



Quelle relation entretiens-tu avec les images de Marcel Imsand ?


Elles ne seront pas montrées sur le plateau ; par contre, elles ont été une source d’inspiration très grande pour le travail. Le livre reste premier, ce sont les mots qui m’ont donné envie de créer ce spectacle. Ils touchent à la question de la filiation, de la transmission. Sa fille a posé des questions à son père pendant plus de vingt ans pour qu’il lui parle autrement qu’avec des images. Je trouve cela très touchant. Mais par la suite, je suis retournée aux photographies que je connaissais un peu, comme tout le monde. Et là les images sont vraiment devenues sources d’inspirations, tout simplement, par exemple, pour déterminer la couleur de ce qu’il y aura sur le plateau. C’est-à-dire du noir, du blanc, du gris, mais aussi des tâches de couleurs vives, car Marcel Imsand a aussi fait de la couleur mais très peu pour photographier des êtres humains. Il a surtout utilisé la couleur pour les paysages. Ça me sert aussi de source d’inspiration pour les gestes avec les amateurs.


J’ai aussi rencontré Marcel Imsand et cette rencontre a une grande influence sur le spectacle. Par exemple, sa manière de parler a été une source d’inspiration pour la musique. Il a une voix qui contient une certaine nostalgie, une voix qui traîne un peu et qui, tout à coup, accélère. Il y a un rythme dans son phrasé qui a complètement inspiré le compositeur.



Quel sera le rapport entre les deux comédiens et les amateurs ?


Pour le moment et comme ils n’ont pas encore travaillé ensemble, j’ai des images dans la tête. La relation entre les deux comédiens et les amateurs sera probablement de plusieurs natures en fonction des passages du texte. Parfois ils parleront ensemble ; d’autres fois, le photographe s’adressera au public, alors que les amateurs produiront une action indépendamment de sa parole. Je ne veux surtout pas illustrer les propos énoncés par Jean-Marc Morel, car je ne crois pas en la transposition du réel sur une scène. Je crois beaucoup à la mise en forme des choses, à la poétisation, à l’esthétisation des choses, à leur évocation.



Quel est le projet de scénographie ?


Il y aura un élément très simple qui sera un praticable surélevé d’une vingtaine de centimètres. On est passé par beaucoup d’idées : l’atelier du photographe, l’agrandisseur, le révélateur, etc pour finalement ne garder que l’idée de la feuille de papier qui évoque autant la feuille de l’écrivain, la feuille du photographe, que la feuille de n’importe qui tentant d’exprimer quelque chose. Donc on va essayer de donner l’impression que ce grand praticable rectangulaire flotte à quelques centimètres du sol. La surface sera traitée de manière assez spécifique : ce sera une grande toile à décor qui sera peinte. Le motif sera un tout petit détail des plis d’une veste de Paul dans le livre de photos « Paul et Clémence ». Nous allons agrandir ce détail et le reproduire sur le praticable. En travaillant cette surface avec la lumière, nous cherchons à évoquer un certain nombre de choses. Ce praticable nous permet aussi de découper l’espace mais de manière plus concrète qu’avec la lumière : il déterminera un espace central et des espaces de jeu périphériques ; cela permettra d’être simultanément dans plusieurs lieux différents et aussi de décentrer certaines scènes.


Et la musique?


L’idée est de partir d’un seul instrument de musique, qui est l’accordéon. Instrument utilisé dans des contextes extrêmement variés, il accompagne les bals populaires autant que les explorations les plus expérimentales et pointues. Il couvre donc un large spectre de références, c’est à mon sens sa première qualité et la première raison pour laquelle il est juste dans cette création. La deuxième qualité sur laquelle j’ai demandé à Daniel Groulx de travailler, c’est la « polyphonie » de l’instrument lui-même. Je m’explique. Il produit bien sûr des sons créés par le passage de l’air dans les touches. La qualité de ces sons peut être travaillée de mille manières, comme avec tout instrument. Mais l’accordéon possède cette capacité de créer une sorte de sanglot, de plainte, ou encore de rire, qui est à mon sens unique. Ensuite, et c’est là ce qui m’intéresse particulièrement, cet instrument peut aussi produire beaucoup d’autres sons. Par exemple, lorsque l’on ne fait qu’effleurer les touches : un cliquetis qui évoque mille matières, mille lieux (l’eau, la machine à coudre, la machine à écrire, les pas qui crissent sur les galets, les câbles qui cognent les mâts des bateaux…) ; ou alors au contraire, lorsque l’on n’utilise que le soufflet, sans appuyer sur les touches : une respiration, qui peut être très faible ou au contraire très puissante, un cœur qui bat, le vent, un souffle humain ou animal court ou long, quelque chose d’étonnamment vivant. Ensuite, on peut aussi l’utiliser comme instrument de percussion. Les enfants aiment beaucoup jouer avec, il possède quelque chose de complètement ouvert et ludique, pour eux, ce qui est également très inspirant par rapport au spectacle. Enfin, du bal-musette à la composition super-conceptuelle, il ouvre tous les possibles pour accompagner le photographe, sa fille et les Anonymes Magnifiques sur le chemin des Confidences.
L’accordéon est donc la colonne vertébrale sonore du travail de Daniel Groulx, à laquelle il adjoint principalement trois références puisées dans les images sonores propres au spectacle : les battements de cœur, la sonnette d’un vélo, le carillon des cloches.


Au niveau de la structure, on sait déjà qu’une mélodie (c’est l’émotion) de base sera déclinée pour habiller musicalement les différents moments où cela sera nécessaire. Il s’agit principalement de moments de transition entre les parties, de moments de tableaux vivants muets avec les Anonymes Magnifiques, ainsi que de l’introduction et de la conclusion du spectacle.

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