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Combat de nègre et de chiens

mise en scène Michael Thalheimer

: Entretien de Michael Thalheimer avec Olivier Ortolani

Paru dans "OutreScène", la revue du TNS, n°5, 2005

Extraits:

La tentative de se rencontrer et son échec


Olivier Ortolani : Si je devais décrire la vision du monde qui s’exprime dans vos mises en scène, je citerais une phrase de Danton au début de La Mort de Danton de Büchner : “Nous sommes des animaux à peau épaisse, nous tendons nos mains l’un vers l’autre, mais c’est peine perdue, nous râpons seulement nos cuirs grossiers l’un contre l’autre.” Dans vos spectacles les personnages tendent souvent leurs mains pour toucher quelqu’un qu’ils n’atteignent pas.


Michael Thalheimer : Il s’agit toujours de la tentative de se rencontrer et de son échec – des petites faiblesses humaines jusqu’à la catastrophe dont on est victime. La citation de Büchner – je suis un très grand admirateur de Büchner – décrit cela à merveille, on ne peut pas l’exprimer mieux. Et à mon sentiment rien n’a encore changé dans notre comportement avec les autres depuis l’époque où cette phrase a été écrite. Le commerce avec les autres êtres humains est aujourd’hui le même qu’au temps de Büchner: une question restée jusqu’à présent sans solution.


(…)


M.T. : Ce que je refuse le plus dans le théâtre et dans la société, c’est le cynisme. C’est quelque chose de dégoûtant. Je n’aime pas qu’un metteur en scène aborde sur scène des histoires de manière cynique, parce que de cette façon il ne touchera jamais à l’essentiel. Car l’essentiel ne peut en aucun cas être cynique. En aucun cas. (…)
Peter Brook a complètement raison quand il dit que nous distillons. Nous sommes aussi des condensateurs. Dans le meilleur des cas, on réussit alors à raconter une histoire de manière totalement claire, et cohérente, et univoque. Ainsi on s’approche de l’essentiel.
Tchekhov a dit une fois qu’il fallait éviter sur scène tout ce qui est superflu. Comme metteur en scène, mieux vaut peindre avec trois couleurs et en faire un tableau, que peindre avec trois cents couleurs et ne plus rien voir. L’univocité et la clarté sont pour moi des choses essentielles au théâtre.


Scénographie


O.O. : Depuis des années vous travaillez avec le même scénographe : Olaf Altmann. Il a conçu pour vous des espaces où les personnages sont à la fois exposés et emprisonnés.


M.T. : Oui, le but de mon espace, c’est de montrer des hommes qui sont d’un côté très emprisonnés et de l’autre côté très exposés, très délaissés, très seuls. Souvent, je n’utilise aucun objet non plus sur scène. Le comédien n’a affaire à rien d’autre qu’à l’auteur, à luimême et à son partenaire. Il ne dispose d’aucun accessoire, d’aucun intérieur, d’aucun meuble auxquels il pourrait s’accrocher. Tout est réduit et on se trouve face à l’acteur nu confronté à soi-même. C’est ça l’intérêt de l’espace et nous partons toujours du principe: y a-t-il une scénographie meilleure que l’espace vide ? S’il n’y a rien de mieux que l’espace vide, alors nous jouons dans l’espace vide.
(…)


La vraie vie


O.O. : La critique a parfois reproché à vos personnages de ne pas évoluer, vous a reproché de les montrer plutôt dans des états où ils sont gelés. Que pensez-vous d’une telle critique ?


M.T. : Rien du tout. Pour moi c’est inexact d’affirmer que mes spectacles sont froids. Celui qui y regarde de près verra quelles grandes émotions se cachent dans cette forme réduite et ce que chaque comédien doit réaliser au niveau émotionnel. C’est souvent immense. Ceux qui voient les choses de cette façon sont des spectateurs inattentifs, qui aiment être distraits ou qu’on leur raconte des mensonges par le jeu théâtral, par la couleur ou par la poésie. Mais je ne perçois notre société ni comme colorée ni comme poétique. Je suis tout simplement quelqu’un de très objectif. Et cette objectivité m’intéresse sur scène, car avec elle on arrive bien mieux à s’approcher de la vie qu’en étant pathétique.

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