: Récit de création et de tournée en Afrique
« La création et la tournée de Chaque homme est une race a été une aventure passionnante et
éprouvante. La situation économique et la crise alimentaire ont eu un effet direct et tangible en Afrique
de l’Ouest et nous avons pu mesurer à quel point la qualité de vie des burkinabés et des maliens en a
été affecté. Ceux qui se débrouillaient tant bien que mal ont basculé dans la précarité et des gens qui
vivaient à l’aise se retrouvent quotidiennement à la limite de la rupture.
Notre création traitant cette situation, tous les comédiens ainsi que les spectateurs se sont sentis très
directement concernés par la thématique du spectacle.
Un exemple : dans la pièce, le personnage principal Bento dit « vous savez la faim ici… tout
augmente et nous diminuons, est-ce que c’est normal ? » public « non, ce n’est pas normal »
La réaction et la participation des spectateurs à cette scène étaient à la mesure de leur frustration
face au renchérissement de la vie et il n’y avait pas besoin de beaucoup les provoquer pour que leur
colère s’exprime ouvertement durant le spectacle et soutiennent l’indignation des acteurs bien sentis.
Les répétitions se sont déroulées au Centre Djéliya avec un rythme très soutenu, 8h par jour, 6 jours
par semaine, car nous n’avions que 5 semaines pour monter une pièce complexe faite de 3 histoires
différentes. De plus l’histoire devait être accessible à des publics très variés, car nous devions aussi
bien être compris par un public populaire non-francophone, que par des amateurs de théâtre dans des
lieux fréquentés par les artistes et les intellectuels. Pour pouvoir capter une audience qui parle peu ou
pas le français des dialogues en Dioula, l’une des langues les plus parlées de la sous-région et très
proche du Bambara qui se parle au Mali.
Petit à petit, le spectacle est devenu bilingue. Nous avons tenté de faire cohabiter les 2 langues de
manière musicale et dynamique sans faire une traduction systématique, mais en gardant
suffisamment d’informations dans chaque langue pour que tout le monde puisse comprendre la
situation.
Nous avons aussi favorisé un travail très musical et visuel avec un jeu ample et assez poussé pour
toucher une foule nombreuse et souvent bruyante. Cela a donné un style de jeu enlevé et proche d’un
théâtre de tréteau tel qu’on l’imagine à l’époque du théâtre élizabethain ou de la Commedia dell’arte.
Nous avons souvent joué devant plus de 500 spectateurs massés en arc de cercle autour de notre
décor. Il fallait défendre les coulisses pour qu’elles ne soient pas envahies d’enfants curieux.
Convaincre les motards d’arrêter leurs mobylettes pour assister au spectacle. Parfois s’arrimer aux
poteaux qui tenaient les toiles de fond pour que le vent n’emporte pas les décors. Les conditions de
jeu étaient épiques avec la plupart du temps des moyens techniques dérisoires, parfois 2 ou 4 vieux
projecteurs. De la poussière, des salles à l’acoustique assassine, des terrains de football. Des
conditions de logement, de nourriture et de transport très modeste. Une tournée serrée avec des
représentations tous les 2 jours en moyenne.
Tout d’abord à Bobo-Dioulasso au Centre Djéliya où nous avons joué pour tous les gens du quartier
très curieux de voir ce que nous préparions depuis des semaines. Ensuite, nous avons pu faire une
vraie création lumière au Centre Culturel Français Henri matisse le 26 novembre. Le lendemain, nous
avons joué à la scène de la Semaine Nationale de la Culture. Cette représentation était dans le cadre
du Festival du Théâtre des Réalités décentralisé à Bobo-Dioulasso.
Nous avons quitté le Burkina-Faso le samedi 29 novembre pour nous rendre à Koutiala au Mali afin
de jouer devant un public particulièrement chaleureux et attentif.
Le 2 décembre nous avons joué dans la cour de la salle Meriou Bâ à Ségou, au bord du fleuve Niger,
à 16h en plein soleil devant une horde d’enfants déchaînés, qui se faisaient frapper par les
professeurs qui, en tentant de ramener le calme créaient encore plus de confusion. Cela a été la pire
représentation de la tournée. Les acteurs avaient beau hurler, personne ne pouvaient les entendre.
Ensuite nous avons roulé jusqu’à Siby, dans le pays Mandingue, terre mythique de l’empire de
Soundjata Keita. Nous avons installé le décor sur le terrain de football avec un vent à décorner les
boeufs. Malgré la difficulté, ce fut l’une des plus belles représentations de la tournée. Le lendemain
matin de bonne heure, nous avons rejoins Bamako pour le montage au Centre Culturel Français.
Nous avons achevé la conduite lumière juste avant l’entrée des spectateurs, essentiellement des
officiels, des festivaliers, des artistes, des journalistes et des coopérants, qui ont appréciés la
découverte de l’univers de Mia Couto.
Le lendemain, nous sommes repartis pour Bougouni où nous avons été accueillis très
chaleureusement au centre culturel Siraba Togola.
Le dimanche 7 décembre, nous avons repris la route pour le Burkina-Faso. Panne, repanne, douanes.
Le voyage fut interminable avant de parvenir épuisés à Bobo-Dioulasso pour la fête de Tabaski (fête
musulmane). Nous nous sommes gavés de viande grillée avant de rouler vers Ouagadougou où nous
avons joué notre meilleure représentation de la tournée au Carrefour International de Théâtre de
Ouagadougou devant un public très mélangé de connaisseurs, d’amateurs de théâtre et de simples
badauds attirés par l’événement. C’est un espace en plein air relativement bien équipé géré par des
artistes pour des artistes, avec un public curieux et averti. Les places sont à des prix abordables dans
un quartier populaire. Bref un bel exemple de ténacité et de réussite.
La dernière représentation a eu lieu sur la très belle scène du Centre Culturel Français Georges
Méliès. La pièce a reçu un écho très favorable. Après la dernière représentation, les 2 comédiens du
Mali se sont dépêchés pour avoir le dernier bus de la soirée pour rejoindre Bamako. Le reste de
l’équipe a démonté l’ensemble du décor et chargé les 2 camionnettes afin de déposer le tout dans la
zone du fret de l’aéroport de Ouagadougou. A quelques centaines de mètres du but, le cardan s’est
brisé dans une ornière… nous avons fini par pousser le camion jusqu’au hangar. Je vous épargne les
tracasseries douanières et les formalités interminables pour réussir à faire envoyer le tout jusqu’à
Genève. Finalement, chacun a pu rentrer chez soi, les musiciens à Bobo-Dioulasso, nous autre en
Suisse. »
Patrick Mohr
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