: Entretien avec Michel Raskine
Propos recueillis par Moïra Dalant
Blanche-Neige, histoire d’un Prince est votre premier spectacle jeune public. Pourquoi Blanche-Neige ? Pourquoi maintenant ?
Michel Raskine : Le spectacle est une variation, non seulement sur Blanche-Neige
mais sur des archétypes, afin de mieux les requestionner : c’est quoi un prince ?
Une Blanche-Neige ? Une souillon, cette sœur mal-aimée ? Chez Grimm ? Chez
Walt Disney ? Aujourd’hui ? Toute l’histoire du théâtre occidental est une revisitation
incessante d’archétypes.
Avec la comédienne Marief Guittier, nous souhaitions
continuer la série de portraits initiés depuis de nombreuses années. Nous avions
monté entre autres Barbe-Bleue, espoir des femmes de l’auteure allemande Dea Loher
en 2001. Et ici, il s’agissait en miroir de travailler un personnage de conte appartenant
spécifiquement au monde de l’enfance : Blanche-Neige. Ou l’histoire de son prince pour
être plus précis, un prince dont personne ne sait rien finalement. C’est effectivement
mon premier spectacle « pour enfants », j’aime bien cette ancienne formulation.
Notre
variante du conte de fée joue avec la morale, puisque Marie Dilasser s’amuse d’une
certaine pudibonderie. Nous pouvons y lire la violence du couple, s’amuser avec
pléthore de « gros mots » et évidemment retrouver le thème central de la mort. Le texte
est une commande et il s’est construit par un jeu de ping-pong et d’aller-retour entre
l’auteure et moi pendant presque un an. Il s’agissait de mettre en mots des envies
communes, sans raboter la langue originale de mon écrivaine. Nous avons parfois
joué comme des enfants avec l’invention de situations ludiques : « Et s’il se passait
ça, alors... ». L’écriture de cette jeune femme est franche et droite, voire frontale,
avec un style très reconnaissable ; elle est parfaite pour réinterroger la cruauté des
contes de Grimm et la version édulcorée de Walt Disney. Elle s’amuse en utilisant des
jeux de mots qui sont au centre du vocabulaire enfantin. Ces deux héros sont des
inventeurs de langue. Ces figures de la princesse et du prince m’intéressaient car
cette histoire est largement connue dans nos mondes occidentaux ; elle fait partie d’un
fond culturel, patriarcal certes, mais commun. Chacun en connaît au moins quelques
fragments. C’est pour cela qu’il était jouissif d’en triturer les figures et les codes.
Dans cette variation du conte, tout meurt : le paysage, le royaume, le Prince, tout sauf Blanche-Neige, la morte originelle. S’agissait-il de retourner les codes ?
L’histoire débute après le conte original, après le mariage. En voici les didascalies de
début : « Tout juste après leurs noces, Blanche-Neige se mit à grandir, grandir, grandir
et le Prince, lui, se mit à vieillir, vieillir, vieillir. Et à mesure que le prince vieillissait,
il gagnait bataille sur bataille et guerre sur guerre, alors le royaume s’étendait et le
peuple se multipliait ainsi que les nains de la forêt. » L’histoire tourne principalement
autour d’un couple dysfonctionnel, qu’un troisième personnage androgyne
accompagne : Souillon aux cheveux jaunes.
Nous voulions, d’une certaine manière,
décaler les attentes par rapport au conte traditionnel.
Il y a trois comédiens pour de
multiples figures, dont une centaine de nains : un comédien-technicien, Alexandre
Bazan, qui réalise les actions de régie en direct sur la scène, le jeune et longiligne
Tibor Ockenfels qui joue Blanche-Neige et Marief Guittier, d’une quarantaine d’années
son aînée, qui prend le rôle du Prince.
L’inversion permet de créer plus de théâtre, d’ouvrir le comique en passant par un
décalage physique simple. Interchanger les genres n’empêche pas l’omniprésence
des codes traditionnels. L’histoire fait simplement état de certaines de nos
préoccupations contemporaines. Le rapport homme-femme peut ouvrir, si on le
souhaite, les débats sur le genre. La forêt qui se meurt, les rivières desséchées
permettent d’aborder les questions écologiques.
Blanche-Neige assume clairement
une parole féministe face au comportement machiste de son prince. Le texte s’étant
construit entre Marie Dilasser et moi en naviguant de rêveries en rêveries, il semblerait
que nous soyons entrés dans un monde aux allures de fin du monde, où la nature
dépérit et où la question du genre importe peu, mais où le magique a toujours lieu,
comme en témoigne l’intervention du personnage céleste de la Lune, par exemple.
Vous parlez d’un théâtre en train de se faire, visible au plateau, et évoquez le théâtre d’objets...
Avec la collaboration de Claire Dancoisne, le théâtre d’objets a donc la part belle.
Ils sont partie intégrante de Blanche-Neige, histoire d’un Prince, un peu à l’image
d’une boîte à jouets dont nous verrions tous les fils des marionnettes.
Les costumes
et accessoires sont souvent des pièces abandonnées ou de rebut, qui ont eu une
première puis une seconde vie et sont encore une fois réutilisées, parce qu’un objet
se raconte lui-même ou peut raconter le monde. Ils ont beaucoup d’importance sur
ce plateau pour naviguer d’un univers à un autre. Mais ce que je raconte là n’est
qu’une définition simple du théâtre.
Les éléments visuels et la scénographie se sont
construits avec Stéphanie Mathieu conjointement à l’écriture, afin de vérifier que
les éléments fonctionnaient ou communiquaient parfaitement ensemble. Chacun
faisant partie d’une mécanique globale.
Sur scène, le théâtre se montre en même
temps qu’il se joue. Le lieu de l’action est d’ailleurs conçu comme un petit théâtre,
avec une petite estrade, d’où on voit tout et sur lequel Souillon manipule à vue
accessoires, décors et cintres. La Lune, par exemple, est un grand cercle argenté
remuant les yeux et la bouche, qui apparaît et disparaît, hommage aux trucages
du réalisateur et illusionniste Georges Méliès. L’objet scénique est artisanal mais
en même temps assez sophistiqué. Le décor fonctionne comme une grande boîte
à musique ou boîte magique. Il est indépendant et mobile, avec un mécanisme
entièrement manuel et des éléments de décor peints.
La Lune comme la forêt et la
tempête restent des représentations schématiques, non réalistes, pour s’amuser
une fois de plus avec la magie des codes de la convention théâtrale. Le maquillage
même des trois personnages, leurs têtes grimées aux grands yeux écarquillés
évoquent aussi bien l’esthétique des films d’animation qu’un univers plus sombre,
voire cauchemardesque, expressionniste, emprunté au mythique May B de Maguy
Marin ou à Egon Schiele.
Les effets visuels sont ainsi économiques et les images
se renouvellent en permanence. Je rêvais d’ailleurs d’une dissolution du texte à la
fin et que l’univers visuel prenne le dessus. Plus ça va, moins ça parle. Et c’est bien !
- Propos recueillis par Moïra Dalant pour le Festival d'Avignon
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