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Au pied du mur sans porte

+ d'infos sur le texte de  Lazare
mise en scène Lazare

: Projet d'écriture

  • "L’homme est aveugle, sourd, fragile comme un mur
  • Qu’abrite et que ronge un insecte."
  • Charles Baudelaire

Ce qu’il y a d’étonnant dans le seul fait de marcher dans une immensité jamais inactive Invité au printemps dernier à venir partager les derniers jours d’un quartier de Bagneux voué à la démolition, sur une invitation du festival Auteurs en actes, j’ai résidé pendant une semaine dans la cour de l’école primaire de la cité des Tertres.
Sous le préau de l’école, j’ai croisé des amis d’enfance, écouté des parents, des enfants, des institutrices. Dialogues ordinaires au milieu d’une immensité jamais inactive. Exploration du monde de l’enfance.
Au cours de cette résidence, j’ai pu établir, esquisser les principales problématiques de la pièce. Inventaire de "petits" problèmes, ceux de chacun, hésitant, s’approchant ou s’éloignant de sa vérité, avec la crainte des uns et l’espérance des autres ; "petits" problèmes auxquels on ne prête pas attention, où se trouvent la subtilité de la haine, du mépris et de l’amour des hommes.


  • "Les mots quelques fois nous parlent plus solennellement de l’être et de sa destiné."
  • Maeterlinck

Fantasme de résumé


Un enfant au fond de la classe avec de "grosses difficultés" perd toujours toutes ses affaires.
Derrière le mur, un chemin, il l’emprunte et s’initie, touche de ses mains les limites de ce qui fait un homme...
Le chemin qui mène à l'école fait école. Les rencontres sont des lumières, ou assombries, des envoûtements, une série d'épreuves ; les magiciens sont des rebouteux, les toxicos roulent en trottinette et les maîtresses sont dictées...
Sur le tableau sont écrits les mots absents : piège, liberté, esclavage.
L’enfant ferme son cahier, sort et fait de ces mots les pierres à fouler d'un homme qui va et ne sait où.


Le regard jeté en arrière au delà de la certitude : Hypermnésie


En guise de trajectoire, je travaille toujours ma chute de feuille d’automne.
Chute continue avec les vents brusques de la violence, avec des bruits de famille partout où nous passons. Par là je suis déjà passé, j’ai à me battre avec ma mémoire Tout ce que nous n’avons pas su dire quand nous sommes passés par là.
Vielles godasses trouées que peuvent être nos vies : être libre serait peut-être ne se souvenir de rien.
Tendre le cou vers la vie et essayer d’ouvrir la fenêtre du monde / Frapper à la porte de ce que nous sommes / Nul autre paysage que les murs d’une cité et ce goût passionné de l’écriture et de l’obstacle / Yeux mélancoliques, voilà l’endroit et le lieu, les détails de ce monde avec des instants lunaires.
Nous entendons jusque dans nos rêves, là bas, derrière ce rideau de béton de la vie oppressée d’où il me faut extraire la beauté.


Au pied du mur sans porte


MÉTAPHYSIQUE D’UN ANALPHABÈTE
Là, de l'autre coté de la porte, sur le seuil de la vie, un frère mort.
Imbéciles, nous sortons du nid où nous avions rêvé le monde et à peine nous dévalons la pente qu'il nous faut des béquilles.
Infirmes, aveugles, il faut nous mettre sur le chemin.
Marcher sur la cime de la pensée quand tout nous enferme dans une coquille.
Un homme nous salue de la main et montre : « Ces arbres sont des arbres en général. »
Toutes choses toujours pareilles aux autres, langue blindée qui parle pour ne pas parler !
Me voici, sale, minable à ma vingtième année, étouffant mes pas.
En une inspiration l'univers entier s'est figé.
Homme qui remue ciel et terre sans rien toucher !
Je vais échouer comme le songe le long des cités, géantes de béton prêtes à s'effondrer.
Elles s'effritent, s'émiettent, tombent et continuent de tomber sur mon dos.
Au ciel s'amoncellent des nuages, tout est triste et rose, le murmure des prières ne m'envole pas sur leurs tapis.
Plein de came, je suis comme une suite qui ne viendra pas.
L'air même est devenu policier. Les murs voisins contrôlent et regardent.
Une porte trouée de balles sous la peau et personne qui ne me tire dessus.
Septembre est un mois terrible où les enfants rentrent à l'école ! Ils tordent leurs doigts, marchent le long des malédictions, sous leurs cartables trop lourds, chantent afin de délier le sort.
De ce coté de la rue, les bruits sont coupés au couteau, je tourne la tête devant les portes du Carrefour qui réclame la grandeur idéale et vous prescrit un check-up à la machine à fric.
Rien au dedans de rien.
Dans mon vêtement d'ombre, au milieu du troupeau, je ne trouve rien, j ai plein mon cœur d'incendie.


À la marge


IL N’EST PLUS POSSIBLE DE PERDRE


  • "Les animaux se tassent pour éviter d'imaginaires prédateurs"... et pièges.
  • Roland Barthes

Au seuil d'un monde normé, s'éprouve l'exclusion inhérente à un système dogmatique qui procède par élimination.
Écrire : s'attaquer à ce principe de marginalisation qui réduit l'autre au silence.
Combien d'entre nous sont restés assis jusqu'à ce qu'on ne puisse plus leur répondre au pied d'une porte ?
Avec l'essor de la volonté à réveiller l’avenir / aux yeux des autres quand toutes les portes claquent sur nous / tandis que les araignées de la patience tissent leur toiles grises / Que faire de cette blessure narcissique qui nous étrangle ?
Décider de s'absenter, constituer un monde et une économie parallèles.
L'ailleurs se trouve alors à la marge, peuplé de la pugnacité des punaises, dealers, craquements des os des criquets, brûleurs de crack, chevaliers de la B.A.C. en bécane roulant à vive allure dans la constellation des banlieues, voisines aux yeux démultipliés observant au travers des murs.
La cité est un centre délaissé, annexée de manière parallèle.
Elle se définit, se positionne "hors de", en redessinant inévitablement les contours d'un autre centre. Et ce sont de fait les mêmes mécanismes d'exclusions qui rassemblent autour de préjugés utiles.
Possédé du démon de l'intolérance, du pouvoir et de nos luttes internes, de nos groupes, la diagonale inscrit une violence sans verbe. Franchir, s'affranchir, rentrer ou sortir, la contradiction est partout et l'écriture est cette lutte contre les murs. Elle fait manger des tours aux princes, coupe les têtes aux rois, fracasse les parois contre les têtes amollies et catapulte les cavaliers d'un pallier à l'autre. Elle joue de l'espace du centre à la périphérie.


Nous révéler au monde ?


Les mots sont morts et peut-être que personne ne veut les enterrer.
Langue épuisée, ces mots qui tombent, écorce de notre humanité.
Le langage fait le sujet humain et quand nous pensons parler seul dans notre tête, nous nous adressons d’une façon plus ou moins halluciné à un autre (Le Double). Voix faite pour rencontrer l’autre et repasser par la main (l’écriture) dans la distance et tracer les mots.
Au désespoir de ne pas trouver d'ouverture dans un monde qui nous coupe, éclat fugitif, le couteau de la parole mu comme par un instinct animal ouvre les carapaces humaines.


Contre jour


La sensation de la pluie, les chaussures que l’enfant met à l’envers, Les lampes anonymes de nos repères, les pâles reflets de la clarté de la rue À cinq heures du matin, la silhouette de la dame qui part au travail, Une marrée de caféine farouche avec les locataires de l'immeuble Et leurs discours, de minute en minute les bus tracent leurs sillons numérotés.
Les malheurs familiaux que la morphine de la magie apaise, Le dégoût enseveli dans l’incapacité d’agir, les fers à repasser de l’avenir…
Celui qui rêve de changer pour de bon et se lève avec une sorte de lenteur parce que le sort s’est jeté sur lui !
Un climat de chômage dans les halls dont les yeux vous fixent – sauvagerie déchaînée des jeunesses pauvres – une menace de tempête va s’éteindre dans le commerce illégal…
Les jouets de l’enfance cassée des tréfonds absurde de la mémoire
Les mecs regroupés les uns près des autres, l’un d’entre eux, un "Libellule", voudrait tomber dans l’abîme d’autrui. Hors de lui-même rien que le vide. Quelqu’un le repoussa, quelqu’un voulu qu’il revienne à lui.
Le poids remuant que doit supporter cet homme qui aurait voulu se mêler aux passants et parler de son amour – mais ils ne remarquent rien. Être à part à rester là, à regarder autour de lui sa bouche aller vers eux, de visage en visage, pour un bruit, pour une ombre, pour un clignement d’œil mais il passe au travers, et ils restent évasifs (dans cette adhérence à la banalité aveugle berçant nos incapacités à recevoir le monde).
Libellule – au pied du mur sans porte de l’école – rêve d’être un jour invisible et de zigouiller la vérité glaçante de la vie (avec ses revendications pressantes qui surgissent dans le cœur et en fait de la confiture toute la journée), traîne entre ciel et terre et l’échec cette présence en lui de l'écriture. Métaphysique d’un analphabète. Son papier dans les mains, plein de fautes d’orthographe, il en fait une boule et la jette au sol, s’en va et dit cadavre nu qui dort. Il sait que le monde est toujours autre chose et l’écartèle de sa propre douceur, esclave des circonstances.


  • "Au pied du mur sans porte c’est comme une obligation de rendre possible le seul impossible. On dirait les éclats d’une métaphysique analphabète. L’éventualité d’être conçu et de ne pas naître instaure un doute universel, ébranle le monde parce que, justement, ce n’est peut-être qu’une éventualité."
  • Claude Régy
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