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Charogne

Vivien Hébert ( Mise en scène )


: Les Textes

Le spectacle se construit en diptyque ; il entend en effet confronter deux textes : une grande tragédie antique, Antigone de Sophocle, et un montage documentaire autour des attentats de Boston.

Antigone, encore


La tragédie de Sophocle se trouve souvent résumée en une opposition simple. Après la menace qui a pesée sur Thèbes, le destin du corps de Polynice est en question. Créon, son oncle, ordonne qu’il soit laissé sans sépulture, et Antigone, sa soeur, vient s’opposer à cette loi.


Antigone contre Créon : ce schéma connaît des variations - la loi des hommes contre la loi des dieux ; la résistance face à la tyrannie… - mais il est adopté comme point de départ à un grand nombre d’interprétations. Cette opposition est fondamentale, mais elle n’épuise pas toute la richesse de la tragédie. Hormis la mort finale d’Antigone, il y a d’autres tragédies à l’oeuvre : celle d’Hémon, son fiancé qui se suicide et qui n’est pas qu’un simple “dommage collatéral”, celle d’Ismène, sa soeur, qui disparaît mystérieusement à la moitié de la pièce… Ensuite, cette lecture oublie qu’après la disparition d’Antigone - et du même coup du schéma d’opposition - la pièce n’en est qu’à ses deux tiers, et que, jusqu’à la fin du texte, les personnages ne feront presque plus mention de la jeune femme.


Nous croyons que la tragédie se déploie avant tout à partir du corps de Polynice, à partir de ce que nous appelons la Charogne. Après la descente d’Antigone au tombeau, le devin Tirésias vient rappeler à tous que le problème fondamental, c’est bien le corps de Polynice laissé sans sépulture, souillure pour la Cité. Ce corps, donc, nous le prenons comme point originel de la tragédie, autour duquel s’organisent les rapports de force. Car le premier problème que pose Sophocle n’est-il pas celui-ci : que faire du corps de l’ennemi ? Ce n’est que dans un second temps que viennent se matérialiser les oppositions, les conflits, et qu’émerge cette seconde question : comment agir, politiquement, face à un problème ?


Peter Stefan


Le 15 avril 2013 a eu lieu le double attentat du marathon de Boston. Les frères Djokhar et Tamerlan Tsarnaev ont fait exploser deux bombes à proximité de la ligne d’arrivée : il y eut trois morts et deux cents soixante-quatre blessés, une vingtaine de graves amputations. Trois jours après les événements, l’aîné, Tamerlan, trouve la mort : après une course-poursuite et une fusillade, il est touché plusieurs fois par les forces de l’ordre, et son frère, dans la panique, lui roule dessus. Son enterrement est extrêmement problématique. Très vite, des manifestants se rassemblent pour dire : ne l’enterrez pas sur le sol américain - c’est-àdire : jetez-le hors de la cité. Les autorités de Boston, du Massachussets, refusent explicitement son inhumation ou esquivent le problème. Une voix différente se fait alors entendre. C’est celle de Peter Stefan, directeur de pompes funèbres, qui s’est chargé de lui trouver une sépulture décente.


Le monologue que nous construisons à partir de différentes sources documentaires (témoignages, entretiens) cherche à faire entendre la parole de cet homme qui, comme il le répète, “ne fait que son travail”. Il nous raconte la difficulté pour lui de faire entendre raison aux autorités politiques qui lui tournent le dos, et aux manifestants qui se pressent devant son funérarium, ce combat pour que le terroriste soit enterré, simplement, comme un être humain.


Le diptyque


Thèbes et Boston viennent toutes deux de connaître un traumatisme immense. La guerre a frappé aux portes de la cité grecque ; le double attentat a ébranlé profondément la capitale fédérale du Massachussetts. Les réactions qui suivent ce type d’événements sont, bien humainement, passionnelles. Et dans les deux cas, c’est à la dépouille que l’on s’en prend, comme si celle-ci concentrait en sa chair l’horreur des actes que l’individu a commis de son vivant. Créon donne l’ordre que Polynice soit jeté aux chiens à l’extérieur des remparts, les manifestants préviennent que, si le corps de Tamerlan est enterré sur le sol américain, ils “viendront le déterrer”.


Face à eux, Peter Stefan et Antigone se lèvent, et militent pour une sépulture décente. Pourtant, ils sont bien loin d’être identiques : tandis que Peter Stefan travaille à un apaisement, et essaie d’agir dans la discrétion pour enterrer Tamerlan Tsarnaev, Antigone vient s’opposer publiquement et violemment à l’ordre de Créon, au point que l’on ne sait plus précisément si elle travaille à l’enterrement de son frère ou à la construction de son propre mythe.


Le spectacle se construit donc en diptyque : d’un côté le document, de l’autre la fiction, d’un côté la complexité d’un fait divers contemporain, de l’autre la puissance du mythe. Nous mettons ainsi en tension deux aspects d’une même réalité, nous explorons ainsi deux types de théâtralité. La forme monologique du témoignage de Peter Stefan fait face à la construction, dans la durée, d’une situation tragique chez Sophocle ; la quotidienneté du document complète et s’oppose au lyrisme brut de la langue de Sophocle - que cherche à rendre la traduction d’I. Bonnaud et de M. Hammou que nous avons choisie.
Nous ne mêlons pas ces matériaux hétérogènes : nous préférons les confronter franchement, honnêtement, laissant au spectateur le soin de composer son propre poème.

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