: Intentions de mise en scène
par Anne Courel
Cette pièce est tout sauf “tendance”!
Sylvain y prend les modes à revers avec une désinvolture qui m’enchante.
Nulle dénonciation tapageuse, pas d’effets de manche, pas de brûlot éminemment polémique …
une seule simple et belle question, tranquillement posée : comment être soi-même et cultiver l’art
de vivre ensemble!
Quel programme…
Profondément ancré dans la vie, ce texte force le respect par sa simplicité. Il dit beaucoup de
choses de et sur la vie sans jamais s’appesantir.
Pourtant, il est plus âpre qu’il y parait. Il est traversé par la violence de l’exil et la misère qui va
avec.
Alice est différente. On découvrira à la fin qu’elle est née en 73 au Chili. Avec ses parents, réfugiés politiques, elle mène une existence matériellement difficile.
Malgré la “galère”, tranquillement mais sûrement, le trio accepte de laisser beaucoup d’objets sur la route, abandonne le superflu au gré des injonctions de la réalité, assume la perte d’un boulot, encaisse l’explosion de la vieille mercedes pour ne garder que le sourire, un vieux chien garni de puces, une poule et quelques canards.
Dans ce contexte, Alice grandit comme les autres, parce que c’est la vie,
construit de l’avenir sans nostalgie, parce que ses parents savent donner de l’amour à eux-mêmes
et aux autres.
Et en plus ils ont de l’humour!
Au fil des petits boulots que le père réussit à trouver, ils lui apprennent à se “désencombrer” des
objets inutiles, mais aussi et surtout du poids du regard des autres et du besoin de
reconnaissance.
Ils sont dans un rapport étonnamment peu hystérique et paranoïaque à l’autre, au monde, au
réel, l’important étant de trouver son chemin.
Il serait d’abord question d’être le sujet de sa propre histoire.
Celle d’une ado pas comme tout le monde qui pourtant, à 30 ans, prendra comme les autres le chemin des employés, aura une petite fille : Florence, et un fils : Gabin, né en 2006 l’année de la mort de Pinochet.
Certes ils ont toujours trouvé une issue par laquelle se faufiler pour tricoter leur chemin de vie, mais la porte est toute petite quand on avance tous seuls le vent dans le nez!
Il faut croire que l’accueil des citoyens de la terre d’asile qu’ils ont choisie n’est pas si chaleureux.
Leur isolement – même consenti et vécu de belle humeur - est patent. Cette Alice, toujours en
mouvement, n’est que pour le moment. La place qu’on lui réserve est étriquée; elle aura
finalement bien peu de prise sur sa vie.
Il est très tôt pour énoncer un parti-pris, définir la scénographie et s’arrêter sur des planches de costumes ….
Aujourd’hui, j’ai l’intuition qu’il faut surtout trouver le mode de représentation de la réalité sociale et économique du moment et son rapport avec l’histoire qui se joue.
Le voyage auquel nous convie l’auteur est fortement contextualisé : l’ « Autre » est là partout, présent dans toutes ses dimensions.
La dimension poétique évidente du chemin de vie qui s’écrit sous nos yeux a besoin de s’inscrire dans une réalité, ne serait-ce que pour mieux s’en détacher.
J’ai envie de commencer par un travail d’écoute avec quelques questions simples.
Comment résonnent injures, insultes et quolibets dans une cour de collège ? Quel est le poids des
mots ? A quel endroit opèrent les inflexions, rythmes et tonalités? Comment j’ entends la
présence hostile ou non de l’autre si je suis à l’écart ?
Ensuite il s’agira de voir comment on peut construire un univers à partir de ce matériau.
Plus tard, nous chercherions du côté des images (documentaires, reportages, docu-fiction …)
comment imaginer la rencontre avec Alice et ses parents et leurs permettrent de se frayer leur
chemin.
À partir de là, il faudrait laisser ce trio exister très librement, flotter de villes en villages jusqu’au bout de ce chemin où il n’y a plus rien, seulement deux sacs de noisettes et l’horizon pour rêver.
Pour terminer, disons qu’il sera par ailleurs important que de jeunes artistes interprètent les personnages de la génération d’Alice et que dans l’équipe aussi il soit question de rencontre intergénérationnelle et de transmission.
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