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Actrice

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mise en scène Pascal Rambert

: Entretien avec Pascal Rambert (3/3)

Entretien réalisé par Hélène Thil

Dans quel espace imaginez-vous le spectacle ?


Ça se passe dans une vraie chambre, blanche, sous des lumières de néon. Il y a un lit, une table, un piano. C’est une grande chambre d’actrice qui travaille bien et qui a les moyens de vivre confortablement. En même temps, il y a entre cent et deux-cent-cinquante bouquets de fleurs de ses admirateurs. Donc on est à la fois dans l’espace réel et en même temps dans une sorte d’installation extrêmement colorée avec toutes ces fleurs qu’on lui a apportées et qu’on continue de lui apporter pendant toute la pièce. Chacun arrive avec des bouquets et des fleurs et il y a ce côté un peu Dame aux camélias. C’est beaucoup dit dans le texte : il faut ouvrir les fenêtres, les fleurs la tuent, etc. On est entre une sorte de sublime magasin de fleurs et en même temps un reposoir. Elle est déjà à l’intérieur d’un reposoir.


On se souvient de l’importance de la Russie dans Répétition. Y a-t-il un lien entre cet univers russe présent dans la pièce et votre désir d’écrire pour les acteurs du Théâtre d’Art de Moscou ?


Oui, mais c’est plus large que cela : je travaille partout dans le monde, je répète sur les lieux, je passe longtemps dans les pays où je travaille. Que ce soit dans les années quatre-vingt-dix avec mes séjours aux États-Unis, ou plus tard au Moyen-Orient et en Asie, ce qui me marque c’est la douleur des peuples et la dureté de l’Histoire. Nous le savons tous. Une chose est de le lire, de lire Primo Levi, Marguerite Duras ou ce que l’on trouve sur les prisonniers russes et sur le Goulag, mais on n’a pas idée de ce que c’est tant qu’on n’a pas parlé réellement avec des gens, comme le fait très bien Svetlana Alexievitch. Que je sois en ex-Yougoslavie, en Russie, en Chine, je suis face à des histoires incroyables. Actrice fait aussi partie, comme GHOSTs (entre la Chine continentale et Taiwan) de ces pièces qui disent : nous avons tellement souffert. Actrice est en lien direct avec des récits réels, de ce que les Russes m’ont raconté sur l’état de la Russie actuelle, sur la censure. Actrice en Russie, ce n’est pas si facile à faire. En Chine non plus.


Dire «nous avons tellement souffert», c’est possible en France, mais en Russie ou en Chine c’est différent. Ce qui me touche le plus, c’est ce que l’on partage en tant qu’humanité. Moi, comme écrivain, quand j’entends ce qu’on me raconte à travers la planète, j’ai envie de le faire partager.


Dans la pièce, les personnages parlent du théâtre comme «ce qui fait tenir droit l’être humain par la parole». Cela correspond à votre conception du théâtre ?


Je le crois tellement. C’est tellement vrai : si on s’arrête de parler, on meurt. Dans la pièce, l’actrice meurt d’une tumeur au cerveau, même si ce n’est pas dit explicitement et qu’elle refuse de dire le mot elle-même. J’ai été fasciné par Mitterrand qui a appris qu’il avait un cancer quelques semaines après son élection et qui est mort quelques mois après la fin de son second mandat. Il a tenu jusqu’à la fin et après il a arrêté. C’est un sujet qui me fascine le fait de tenir jusqu’à la dernière seconde, de rester debout. Répétition, c’était ça : ils arrivent jusqu’au bout de ce qu’ils avaient à dire et c’est terminé. C’est la même chose pour Clôture de l’amour. On parle, puis on se met à genoux et on meurt.


Le personnage de Ksenia critique «la profération criarde des textes du passé» et celui d’Alexander affirme : «Or il suffit de saisir une chaise de s’asseoir de parler et voilà la vie.» Cela pourrait constituer une sorte d’art du théâtre personnel ?


Oui il y a quelque chose qui est vrai là-dedans. On a toujours envie de dire à un jeune acteur ou une jeune actrice : «Prends une chaise et parle.» Et puis il y en a un qui prend une chaise et qui parle, et la vie est là. Ça, c’est l’art du théâtre. Quant à la «profération criarde des textes du passé», je pense que ça s’est beaucoup amélioré en trente ans. Les écrivains de plateau, les collectifs, l’arrivée de la vidéo, des micros et d’une technologie très fine ont changé beaucoup de choses. J’ai fait des spectacles avec micro il y a quelques années et puis je m’en suis éloigné.


J’essaie de m’éloigner de ce qui devient une sorte de lieu commun sur les scènes. Pendant des années, j’ai défendu une «décentralisation» du texte, c’est-à-dire en m’attaquant au fait que le texte soit central dans les pièces, mais maintenant je suis revenu à une chose très classique et très simple : écrire du théâtre. Je me confronte à l’écriture dramatique. C’est très difficile d’écrire du théâtre en 2016 parce qu’on pourrait presque dire que tout a été fait. Et pourtant tout est à recommencer.


Le spectacle final dans Actrice fait penser au Songe d’une nuit d’été. Est-ce une référence consciente à la pièce de Shakespeare ?


Je n’ai pas pensé au Songe mais au fait d’avoir tous les acteurs ensemble sur le plateau. Le reste de la pièce est constitué de scènes plutôt deux par deux où chacun vient rendre visite à l’actrice parce que je voulais rester sur une chose assez réaliste : quand quelqu’un est malade à ce point là, il ne peut pas y avoir trop de monde autour. Mais ils sont tous tellement hors de contrôle qu’il y a cette scène finale où ils apparaissent ensemble. Ce sont des êtres merveilleux : son dernier mari est une espèce de Baal, comme dans la pièce de Brecht. Tout le monde va mal parce que, comme elle le dit, «la mort les rend tous fous». C’est elle qui est en train de souffrir mais tout le monde souffre plus qu’elle. Dramatiquement, c’est très intéressant à écrire. J’avais très envie de faire cet impromptu final. C’est une espèce de fausse pièce, un impromptu bouffon. Ils font ça devant elle avec toutes ces fleurs. Il ne faut pas que le contenu soit trop fort, il faut au contraire que cela soit un peu ridicule. J’adore les pièces allégoriques du XIXe siècle ou les opéras baroques du XVIIe. J’adore aller me plonger dans des choses qui sont de l’autre côté de moi-même. Il y a quelque chose de très musical, avec le piano et le chant. J’ai pris la structure de cet impromptu à la fresque du Grand Amphithéâtre de la Sorbonne avec toutes ces figures allégoriques. Je les imagine en train de préparer cette petite scène avec toutes ces figures.


C’est aussi ce qui se passe dans Les Acteurs de bonne foi de Marivaux, où le personnage principal fait un canevas totalement absurde et c’est ça qui est beau. C’est l’art du théâtre. C’est une pièce qui fait pleurer. C’est une pièce russe. Les rôles masculins dans la pièce vont être joués par les acteurs finlandais avec qui j’ai fait Memento Mori, une pièce de danse. J’essaie de mélanger des Italiens, des Finlandais, des Chinois. C’est une chose très internationale dans le sens où ça concerne la douleur du monde, une forme de souffrance historique.


Entretien réalisé par Hélène Thil Paris, novembre 2016

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