… « L’histoire véritable, la voilà. Léonard toujours parle. Et petit à petit modifie le portrait, afin précise-t-il de toujours mieux ressembler à la conscience du modèle. De toujours mieux approfondir la question. « Je ne peux donc jamais en finir, ou alors il faut fuir » me dit-il. « C’est la nature profonde qu’il faut saisir » à pleins pinceaux, à pleines mains même, parfois retouchant, parfois remodelant du bout du doigt, du bout de l’ongle. Le portrait a été modifié au cours de sa longue exécution. Est-il d’ailleurs fini ?
Au début, mon visage ne portait pas de voile, il était plus maigre, j’étais plus maigre au niveau des joues, et surtout, JE NE SOURIAIS PAS. Non pas que je puisse avoir eu mal aux dents. Mais durant les premières poses je suis tendue. Nous ne nous connaissons pas. Pourtant immédiatement quelque chose de profond se passe. De l’amitié. Léonard, très courtois, m’impressionne, il connaît tout, il voit tout, il sait tout, il peut tout…
« Je demande, je demande » insiste-t-il, « peindre un portrait revient toujours à écrire une biographie. La sienne ou celle du modèle. Cette biographie, elle doit être belle, comme la vie et ainsi je dois tout connaître de mon modèle, tout savoir, tout apprendre ».
Petit à petit je me détends. Je ris souvent. Léonard est drôle. Il raconte des histoires, invente des devinettes. « Le sourire de Mona Lisa, dit-il, est la marque de sa joie à vivre, je l’invente peut-être davantage que je ne l’imite, mais qu’importe puisqu’il est le symbole, le signe, de l’être Mona Lisa Gioconda. »
J’aime le mettre au défi, je me fais sérieuse durant le temps de la pose, le plus longtemps et le plus durement possible. Je conserve les lèvres closes. Je raidis mes traits. « Ce n’est pas très grave, affirme-t-il, votre petit jeu, car en ce moment même où vous faîtes la sévère, j’en profite pour peindre les yeux, saisir le regard qui lui, continue à rire, s’amusant de la situation théâtrale dans laquelle vous vous plaisez à me défier ... »