: Notes de mise en scène
Le corps des femmes
Le thème du rapport entre l’intime et le pouvoir est un sujet que j’explore depuis quelques années dans
mon travail de metteur en scène. A mon âge, je me cache encore pour fumer pousse la réflexion encore plus loin,
où le pouvoir et la violence s’insinuent dans la chair des êtres et ici tout particulièrement des femmes. Le
sexe même de la femme devient politique. Il n’est plus question de choix lorsque notre corps même dicte
ce que nous sommes socialement, culturellement, religieusement, politiquement, notre rapport aux autres,
au pouvoir, et nous relie à notre histoire collective.
A mon âge, je me cache encore pour fumer donne la parole à ces femmes, qui sont exclues parce qu’elles sont
femmes. Et pourtant, ce sont elles qui assurent la continuité de la société dans laquelle elles vivent, comme
si les hommes étaient en guerre et qu’elles devaient assurer la paix. Leur corps pour subir la guerre et la
violence des hommes, leur coeur, leur courage et leur foi pour construire la paix. Comme si le fait de
donner la vie faisait d’elles des protectrices instinctives et nécessaires de cette vie.
Le corps des femmes est ce par quoi la violence des hommes arrive. Mais il est aussi le dernier rempart qui
protège l’intime. Dans A mon âge, je me cache encore pour fumer, le corps de ces 9 femmes raconte ce qu’elles
ont vécu, subi, mais elles semblent humainement et intiment moins abîmées que ce corps qu’elles ont
utilisé comme protection. Leur force est restée intacte, leur désir de vie d’une force étonnante. Et la pièce
raconte cela. Des femmes libres, fortes, dans un corps qui les a condamnée. Et si le hammam était
justement ce lieu où les femmes retrouvaient ce rapport sain, sensuel, généreux avec leur propre corps. Et
cette cérémonie de la réconciliation se fait à travers les mains et le corps d’autres femmes.
Une déclaration d’amour à l’Algérie
A mon âge, je me cache encore pour fumer parle aussi de ce lien à la fois magnifique et douloureux que l’on peut entretenir avec la patrie que l’on a été obligé de fuir. Même si des événements récents ont donné toutes les raisons objectives de partir, la patrie reste le lieu de nos origines, de l’histoire dont nous sommes le fruit, de l’histoire de nos parents, de notre enfance. Une patrie qui a été source de souffrance mais que l’on ne peut s’empêcher d’aimer profondément. Une histoire difficile mais qui reste, malgré tout, notre histoire. Si Rayhana condamne certains aspects de l’histoire récente de l’Algérie, le portrait qu’elle fait de ces femmes est pour moi une déclaration d’amour.
L’ombre de la France
La France est omniprésente dans ce portrait contemporain de l’Algérie. Terre d’asile naturelle et historique pour fuir les violences quotidiennes, la France attire pour l’espoir d’un avenir meilleur qu’elle suscite. Mais elle offre aussi un visage plus sombre : celui d’une terre d’accueil qui a échoué dans l’intégration de ses étrangers, terre de souffrances qui engloutit les amants, sépare les familles et transforme les frères en fanatiques. Et ces femmes ont sur ce pays un regard lucide et même temps chargé d’espoir. Et c’est peutêtre cela qui caractérise les femmes d’Algérie : une lucidité étonnante sur le monde dans lequel elles vivent et en même temps une foi insolente en l’avenir.
Bien sûr, A mon âge, je me cache encore pour fumer parle de l’Algérie, de l’Islam, du statut des femmes dans certains pays arabes, mais la pièce traite surtout de vie, de solidarité, de la force et de la beauté des femmes.
Entre légèreté et gravité
Pour porter cette histoire, j’ai choisi des comédiennes qui ne sont pas toutes d’origine maghrébine. Bien qu’étroitement lié à l’Algérie, A mon âge, je me cache encore pour fumer est avant tout un portrait universel de femmes et je souhaite conserver cette dimension à travers, entre autre, ce choix de distribution. La direction d’acteur est précise, essentiellement centrée sur le rythme, la vivacité et l’humour avec des ruptures franches pour permettre à l’émotion d’exister pleinement. La gravité cohabite en permanence avec la légèreté, la drôlerie et la générosité de ces femmes et ce passage dynamique de l’un à l’autre donne la note générale du spectacle.
Une chorégraphie des corps
L’espace dans lequel évoluent les comédiennes est un plateau nu traversé par une jetée en mosaïque et ne conserve du hammam que quelques accessoires comme des tabourets et des bassines. La grande salle chaude est marquée par la lumière au sol, dont les couleurs et textures évoluent en même temps que l’action, notamment grâce au travail vidéo de Bastien Capela. Au fond du plateau, un grand cyclo permettra, grâce à la lumière, d’ouvrir l’espace pour la dernière scène. Les costumes sont des pagnes et des robes très légères que les femmes portent dans les hammams.
Fabian Chappuis
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