: Note d'intention
Depuis sa création, la Compagnie du Théâtre Mordoré n’a cessé, à travers ses spectacles, d’interroger l’incompréhension
de l’enfant pour le monde qui l’entoure (mais souvent, aussi, sa compréhension « autre »), son rapport aux règles et aux
contraintes imposées par les adultes et, du même coup, la part de révolte qu’il y oppose, ou celle de résignation à laquelle il
se soumet.
Ainsi, par exemple, la dernière création de la compagnie, Pinocchio d’après l’étrange rêve de Monsieur Collodi, met en scène
un petit pantin de bois, parcourant un long chemin initiatique et chaotique semé des embuches des adultes, qui va gagner sa
part d’humanité – celle, n’est-ce pas, que nous recherchons tous – et devenir un « vrai » petit garçon.
La compagnie a toujours privilégié l’adaptation de grands textes littéraires connus de tous (ou qui devraient l’être) non voués
initialement au théâtre. L’adaptation, le passage du roman, du conte, de la fable à la scène doit certes préserver la saveur
initiale du texte, mais aussi résoudre nombre de problèmes liés aux lieux multiples, au nombre de personnages, et encore
interroger quelque chose comme le rapport entre l’auteur et son oeuvre, le « créateur » et sa « créature ».
Zazie dans le métro, le génial roman de Queneau, s’inscrit tout naturellement dans la ligne artistique de la Compagnie du
Théâtre Mordoré. On y retrouve tous les axes développés précédemment (le chemin initiatique d’une petite fille, cette fois-ci),
et le travail d’adaptation d’un grand texte littéraire inscrit dans la mémoire de tous. (S’y ajoute la résonnance toute intime de
la part de ma propre enfance que je souhaite partager avec le plus grand nombre !).
L’adaptation que je signerai interrogera aussi l’idée même de jouer : Zazie passant tour à tour de la conteuse surplombant
la fable (comme un prolongement de l’auteur lui-même) au personnage principal de cette fable, passant et repassant les
frontières entre roman et théâtre. On verra alors Zazie, enfant rebelle et maligne, casser le « quatrième mur », s’inviter,
par exemple, dans la régie du théâtre, ou au milieu des spectateurs. Elle permettra à tous (à commencer par moi-même) de
s’interroger sur l’art de se donner à voir sur une scène, de jouer et de se jouer des codes théâtraux. Elle permettra d’interroger
les frontières, les limites, au sens propre comme au sens figuré.
Et planera cette question qui nous taraude tous : qu’est-ce que « vieillir » ? Est-ce la nécessité de composer avec les obligations
que nous impose le monde dans lequel nous vivons, comme celle, par exemple, d’échanger un vocabulaire commun ?... Est-ce
le moyen de supporter le monde qui nous entoure, ou est-ce se donner les moyens de le réinventer ?...
Une distribution réduite de six comédiens nous entraînera dans un dédale de travestissements… Les contraintes de temps
(1h30 maximum), les contraintes d’espace (la scène du Théâtre le Lucernaire), nous pousseront à inventer des lieux différents
– à travers la lumière, le son (qui sera très présent), quelquefois réalistes, quelquefois oniriques, quelquefois « intra » , quelque fois « extra-diégétiques », mais aussi des accessoires modulables, une carcasse de taxi devenant le canapé d’un salon, ou
encore un porte manteau devenant un lampadaire de rue, – et donneront une direction à notre adaptation : le regard subjectif
de Zazie dans ce vertige de liberté face à l’impuissance souvent « palpable » des adultes.
C’est aussi un hommage que je souhaite rendre aux acteurs à travers ce spectacle (et cette petite fille) : leur liberté, leur
révolte, leur folie, qui je crois est aussi la nôtre.
Il va sans dire que nous tiendrons à ce que la lettre du texte de Queneau ne soit aucunement « trahie », à ce qu’elle se donne
à entendre, vive et tranchante, le plus loin qu’il nous sera possible.
Sarah Mesguich
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