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Tarzan Boy

+ d'infos sur le texte de Fabrice Melquiot
mise en scène Fabrice Melquiot

: Note d'intention

Je n’ai pas coutume de me pencher sur moi pour écrire. Je préfère me pencher sur le monde, ou sur cette frange difficile à sonder, cet interstice entre le monde et moi, ce point de friction ou d’alliance, qui me constitueen moi-monde.


Tarzan Boy semble relever de l’écriture autobiographique. On pourrait croire que j’en suis l’auteur, le narrateur et le premier protagoniste. On pourrait croire que je parle en mon nom. Que je souhaitais parler de Modane. Modane dans les années 80. La vie à Modane dans les années 80, la fermeture des usines, les bars et les bars et les bars, Reagan et Thatcher, des airs pops et pauvres, les perruques fluo. Parler de mon père à Modane dans les années 80.


Mais j’écris là en menteur, avouant ses mensonges à mesure qu’il énonce ses vérités, afin d’épaissir l’espace entre la fiction et le réel, la fiction d’aujourd’hui et le réel enfui. La vie qu’on invente ou qu’on réinvente peut être d’une grâce infinie, à condition qu’on en sache dessiner lucidement les contours, en définir les origines et les enjeux ; ainsi, le poème apparaît-il parfois comme le lieu d’une vie plus grande que la vie, ainsi devient-il sournoisement plus vrai que la vérité même. Voilà ce qu’il m’importait d’élucider avec Tarzan Boy : comment les récits d’aujourd’hui l’emportent sur les traces d’hier, mangées par le temps.


Il s’agit donc moins d’un texte cherchant à exprimer ma personnalité, que d’un texte sur le Temps. Il s’agit moins d’un autoportrait que d’un texte sur l’adolescence, un texte sur le temps, le temps de l’adolescence ; ce passage délicat à l’âge qu’on dit adulte. Au fond, ce pourrait être le récit de n’importe quelle adolescence, dans n’importe quelle ville du monde, n’importe quand  ; à travers cette adolescence-là.


Au départ, il y a le vrac de ces années-là, le vrac fabriqué par le temps qui éclate tout. D’où l’écriture en tirets, fragmentaire, puisque le miroir est brisé. L’absence de personnage donne la parole à l’invisible, n’importe quelle voix, toutes les voix.


J’aimerais confier le texte à deux acteurs (Daniel San Pedro et Guillaume Ravoire), une actrice (Elsa Rozenknop), un musicien (Paul-Marie Barbier - guitare et vibraphone).


Une chorégraphe, Marion Lévy (avec laquelle je collabore depuis plusieurs années, notamment au Théâtre National de Chaillot), nous accompagnera, pour toucher à ce corps de l’adolescence, corps violent, spasmodique, corps dans lequel demeurent ensemble l’enfant et l’adulte, pour un temps.


Je ne souhaite pas de scénographie. Un espace vide. De petits espaces. Une jauge limitée à 200 personnes. Deux micros, pour les voix d’aujourd’hui et pour les voix chantées. J’imagine par ailleurs quelques objets dans un espace vide : disques vinyles, blouson de skaï, crucifix, perruques, un badge Solidarnosc, un ballon de basket-ball, de vieilles photos, une poignée de mouches mortes. Du théâtre de chambre. Les acteurs pourraient porter un maillot de l’A.S Saint-Etienne, une cape de Zorro, des perruques. L’actrice un jean et une chemise blanche, comme la Betty du texte.


J’ai vécu les années 80 l’oreille rivée à la bande FM. Des chansons émaillent donc le texte de Tarzan Boy. Le titre de la pièce lui-même est un clin d’oeil à un 45 tours acheté en 1985, sur lequel j’ai poussé des cris, en me prenant pour mon père, qu’on prenait pour Johnny Weissmuller. J’aimerais que ces chansons (Tarzan Boy, Au coeur de la nuit, Cambodia, Dancing with Myself, Charlotte Sometimes, Plus près des étoiles, Too Shy, Hungry Heart, Forever Young, Ashes to Ashes) soient réorchestrées, afin d’être murmurées, fredonnées parfois entre deux fragments de textes. Afin de créer une sorte de bande originale, un palimpseste vocal.


Enfin, j’espère sincèrement que l’humour que j’ai tenté de donner au texte (elles étaient drôles, ces années), sa mélancolie aussi (elles étaient mélancoliques, ces années), la maladresse adolescente qui court de fragment en fragment et en constitue la langue (elles étaient maladroites, ces années), me sauvent de l’enflure narcissique. Le narcisse est piétiné, pétrifié sous la neige ; en effet, je n’ai pas trouvé meilleur moyen que l’écriture pour apprendre à disparaître. Ici, je n’y suis déjà plus.


Ici, chacun a sa voix.


J’ai voulu parler du Temps, c’est tout. Le temps qui passe, pour les autreset pour moi.

Fabrice Melquiot, écriture et mise en scène

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