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Saleté

+ d'infos sur le texte de Robert Schneider traduit par Claude Porcell
mise en scène Hans Peter Cloos

: La Pièce

Je m’appelle Sad. J’ai trente ans. En Anglais, Sad veut dire triste. Je ne suis pas triste. Sad, et ensuite ? Sad vend des roses dans les restaurants de Vienne. Il est Irakien. Un Arabe. Un sémite. Pas un Kurde. Pas un réfugié politique. Non, un clandestin parmi tant d’autres, qui, après la première guerre du Golfe, a bouclé ses valises pour un ailleurs meilleur. Bassorah. Les marécages. Téhéran. Ankara. Varsovie. Stockholm. Et, enfin, Vienne, une ville propre, où de jolis bancs publics aux pieds en fonte attendent les hommes de quarante ans.


Sad est Irakien. Pas un persécuté. Il a étudié la philosophie et la littérature allemande. Une langue magnifique, une culture riche qui l’a fait rêver. Il était si heureux de venir dans ce beau pays aux lacs vert foncés et aux montagnes bleutées… Mais il ne savait pas qu’il était de la merde. On ne lui avait jamais dit là-bas.


Sad. Il s’appelle Sad. C’est tout ce qui lui reste : un prénom et quelques souvenirs. Le claquement des feuilles de palmier, le goût du thé amer, les parties de backgammon, la transpiration de ses soeurs, les lunettes d’écaille qui laissent une marque rouge sur le nez de son père et quelques photos qui s’effacent à force d’être regardées.


Sad… Il le dit et le répète : il s’appelle Sad. Mais il pourrait s’appeler Ahmed, Hassan, Nabil, Ismaïl, Artan, Bahiyyih. D’ailleurs, il a peut-être menti, comme tous les Arabes de sa race. Il a ça dans le sang. Il en est conscient. Il sait aussi qu’il n’a pas le droit de vivre là et de s’asseoir sur les jolis bancs publics. Il ne l’a pas mérité : il sait qui il est ! Il connaît son odeur, le grain grossier de sa peau, la noirceur de ses yeux… Et plus il regarde les hommes de quarante ans assis sur les bancs publics, plus sa culpabilité augmente.


Sad, l’Arabe — mais il pourrait être Egyptien, Turc, Roumain, Pakistanais, … ou clochard. Sad, celui qu’on tutoie. Celui à qui on dit non, sans même le regarder. Celui que l’on prive de tout droit. Celui dont la fierté — cette insolente fierté ! — est continuellement bafouée… Sad, le sans-papier, vit la peur tenaillée au ventre... Il était si heureux de venir dans ce pays civilisé, cultivé, démocratique. Il l’aimait. Il en rêvait. Aujourd’hui, il ne rêve plus, car il connaît sa fin : un coup de tesson au détour d’une ruelle, une insulte qui va droit au coeur.


Sad qui salit tout, sait qu’il n’y a aucun échappatoire pour lui. Il va mourir. Il doit mourir, au nom de la propreté. Alors il crie aux hommes de quarante ans assis sur les jolis bancs publics de se lever et d’agir, enfin, pour mettre un terme à son calvaire et nettoyer la tâche… Il n’aurait jamais dû venir.


Saleté, c’est une nuit avec Sad. Il dit ce qu’il entend, ce qu’il ressent mais qui ne s’exprime pas : le regard de l’autre sur la différence de peau, la différence d’habitudes et de comportement. Peu à peu, au fil de son écrit, il s’enflamme, se révolte et parle par la bouche de ceux qui le jugent et le rejettent.

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