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Pour un oui ou pour un non

mise en scène René Loyon

: La Pièce

Le théâtre de Nathalie Sarraute est un drôle de théâtre. Ce n'est pas, comme le voudrait une certaine convention, un théâtre du non-dit, c'est à dire, un théâtre où l'angoisse, le noir fantasme, la suspicion, bref la vérité intime des comportements, n'affleureraient à la surface de la conversation qu'à la faveur des silences et, en quelque sorte, par inadvertance.
Non, les personnages de Nathalie Sarraute veulent tout dire, s'expliquer infiniment, réduire autant que faire se peut la part de l'indicible. Ils ne renoncent qu'à bout de force, à bout d'arguments.


Nathalie Sarraute s’amuse à creuser le sillon de l’obsession - cette rumination paranoïde qui nous fait monter en épingle l’incident le plus banal.
C’est cela au fond le tropisme sarrautien, un rien, une sensation de malaise qui effleure la conscience, le sentiment d’une curieuse dissonance dans le rapport à l’autre.
Mais ce qui n’était qu’une minime fissure va inévitablement s’ouvrir, s’élargir, dévoiler des abîmes insondables.


Sarraute, c’est l’art, à partir d’un rien (ce qui s’appelle rien...) d’explorer, au-delà du langage ordinaire, les multiples petits signes, les «infimes mouvements de la conscience», qui tissent les singuliers mystères qui nous relient les uns aux autres, ou qui nous séparent les uns des autres.
Ce faisant, elle construit un monde poétique étrange où le fantastique se mêle au quotidien. Quotidiens sont les personnages, les dialogues qui semblent relever du langage parlé le plus banal. Fantastique est au fond le projet théâtral de faire entendre, sous l’apparence de conversations ordinaires, les mots qui disent le surgissement de l’irrationnel, la peur obscure, cette espèce d’angoisse première, animale presque, qui fait qu’on perçoit l’autre comme un ennemi, des empiétements duquel il faut se protéger, sous peine d’être envahi, absorbé, anéanti...


"Un ange passe" dit, comme il se doit, un personnage d'Isma pour désigner l'un de ces pénibles silences où la conversation chavire, laissant chacun seul dans une douloureuse conscience de soi. Attraper cet ange qui passe avec tant de désinvolture et lui faire rendre gorge est au fond le travail essentiel et obsessionnel de Nathalie Sarraute. C'est une opération délicate qui demande persévérance et doigté. Elle s'effectue dans un étrange climat d'irréalité qui, pour être traduit sur la scène, demande au metteur en scène et aux acteurs humilité, humour, exactitude et ce qu'on pourrait appeler un sens aigu de l'entredeux, c'est à dire l'ambiguïté qui fonde l'expérience du langage dans le théâtre de Nathalie Sarraute.

René Loyon

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