Deux hommes engagés, directeurs de grands chantiers de démocratisation de la pensée - l’Encyclopédie pour l’un, Combat pour l’autre -, rédacteurs en chef entraînants et séduisants, irréductibles opposants aux orthodoxies de toutes sortes, jouisseurs d’une écriture multiforme - essais, dialogues, impromptus, philosophie, théâtre, romans - , Camus et Diderot ont bien des points communs, plus, une fraternité. Cependant, la fin du XVIIIème de l’un, et le mi-temps du XXème siècle de l’autre, sont radicalement différents. Comment faire pour les célébrer ensemble sans tomber dans d’horribles anachronismes ?
Comment faire ? Faire du théâtre. Au théâtre, notre temps est toujours le présent. Un présent partagé entre acteurs et spectateurs. C’est donc avec l’audace du théâtre, sa souveraine liberté, et sachant que Camus et Diderot ont été de grands amoureux du théâtre, que j’ai osé convoquer sur les planches deux si grandes personnalités, à la demande amicale et passionnée de Danièle Israël.
C’est là que les difficultés du pauvre auteur commencent ! Comment faire parler Camus et Diderot ? Ce qu’ils ont voulu dire, ils l’ont dit dans leurs oeuvres, avec une telle perfection de style que l’auteur lit, lit et relit, se réjouit, exulte, s’exalte, se sent de plus en plus enthousiaste, mais aussi de plus en plus insuffisante et stupide, paralysée par l’admiration.
Que faire ? Renoncer ? Non. Une idée ! Convier Camus et Diderot à venir jouer. Jouer ? Jouer au badminton par exemple. Raquettes et volant avec des partenaires de leur temps. Alors là, tout de suite, les voilà qui acceptent de descendre de leurs nuées, les voilà qui acceptent de coexister, les voilà - miracle ! - qui parlent ! Dans un premier set, Diderot retrouve sa chère Madame d’Épinay, Rousseau et Melchior Grimm. Dans un deuxième set, Camus, Sartre, Simone de Beauvoir et René Char reprennent la balle au bond. Comment la partie se terminera-t-elle ? Devinez.
En tout cas, chers spectateurs, que ces grands noms ne vous fassent pas peur. Si notre quatuor d’acteurs-philosophes n’arrive pas à vous captiver par ses joutes ébouriffantes, virevoltantes, à la fois profondes et légères, sur l’existence de Dieu, la richesse, le rôle de la femme dans la société, les difficultés de l’amitié, l’organisation du monde et la meilleure manière de gouverner, il saura vous dérider par son adresse et ses facéties. Ne ratez pas Camus et Diderot sur le même plateau !

Evelyne Loew

mai 2012