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Music-hall

+ d'infos sur le texte de Jean-Luc Lagarce
mise en scène Sébastien Bournac

: Note d'intention

Une nouvelle mise en scène


Relecture de l’œuvre après une première mise en scène en novembre 2005 au Théâtre de Cahors. Etrange projet que celui de remettre sur le métier le même texte à quelques mois d’intervalle. Rien n’a vraiment changé dans le paysage autour de nous et pourtant tout est tellement différent.
Sentiment obsessionnel que quelque chose m’avait échappé. Et qu’aujourd’hui c’est un autre texte que je découvre. Peut-être un de ces mensonges à soi que l’on s’invente pour de pas affronter/assumer la terrible lucidité à laquelle l’artiste nous renvoie.
Et puis le piège avec cette « pièce » est de se laisser facilement séduire par la nostalgie et les sirènes d’une mythologie, celle du Music-hall : les paillettes et le strass des « folies » nocturnes ; les revues somptueuses et lubriques où des « girls » entraînaient avec sensualité les spectateurs dans des rythmes exotiques aux accents d’Outre Atlantique ; des divas de romances sentimentales ; des attractions de cirque, des numéros de magie, de divination…
Certes le titre est un leurre.
Mais c’est aussi bien davantage que l’envers désenchanté du Music-hall que nous raconte Lagarce à travers l’histoire pathétique mais anecdotique d’une chanteuse et de ses deux boys à l’heure de la désillusion. La vraie histoire est ailleurs.


Dans l’absence, l’effacement de l’histoire, précisément. Les suspensions, les fractures de la parole, les phrases interrompues, les non-dits, les silences, l’aphasie après les logorrhées suspectes de la Fille… tout ici est symptôme d’une disparition, d’une non-adéquation entre ceux qui parlent ou se taisent et les mots écrits par l’auteur. C’est cela qu’il faudra rendre palpable sur la scène.


« La Mort à l’œuvre »


Aujourd’hui, au moment de reprendre le travail et après avoir semaine après semaine tout remis en question de notre première mise en scène, après avoir fait « table rase », je pense surtout à Jean-Luc Lagarce écrivant sa pièce.
La prémonition d’une mort prochaine hante toute son œuvre, avant même la révélation de la maladie réelle. Il n’est pas rare de lire dans les cahiers de son Journal une note qui va dans ce sens. Ainsi en janvier 1981 : « … Je ne cesse de me complaire depuis une semaine ou deux dans l’idée ô combien satisfaisante que je vais mourir lentement d’une maladie terrible… Cela satisfait mon égocentrisme et ma vanité. Si c’était vrai, mourir d’une longue maladie, à chaque moment, chaque instant, est-ce que cela ne suffirait pas à remplir ma vie, à me rendre intéressant à mes propres yeux… » A la fin des années 1980, la plongée dans le vertige de la mort se fait plus abyssale. Forcément. Et ceux qui l’ont croisé dans ces années-là en parlent comme d’un homme qui avait « le regard et la voix de ceux qui ne sont déjà plus tout à fait de ce monde ». Cette conscience d’une mort prochaine s’inscrit inévitablement dans son écriture, dans les histoires qu’il nous raconte, et surtout dans la façon même qu’il a de nous les raconter. « La Mort à l’œuvre » ! Les personnages qu’il écrit lui ressemblent.


Music-hall est une oeuvre profondément crépusculaire. Pasolini fait dire à un de ses personnages, à la fin de Pylade : « La vie est plus longue que nos rêves, c’est sûr. » Ce que met en scène Lagarce, c’est cette vie d’après les rêves et les espoirs, et peut-être au-delà de la vie même. Le théâtre est peuplé de fantômes, de morts-vivants qui surgissent du néant pour nous interpeller…. Nous n’oublierons pas qu’il s’agit d’une œuvre spectrale.


Chronique d’une disparition en trente fragments


Sur la scène, trois figures – « comme oblitérées », dirait Beckett que Lagarce admirait tant ! Une fille et deux boys qui flottent entre le rêve et la réalité. Quelques bribes d’une histoire glorieuse au temps jadis du Music-hall. Quelques paroles d’une chanson entêtante de la reine Joséphine, dont on a oublié la mélodie… Bref, une histoire vacillante avec laquelle ils ne font plus corps. Une histoire incertaine, improbable, qui fut peut-être la leur, mais ça n’est pas sûr et je ne le crois plus. Une histoire qui appartient à un imaginaire collectif – sublimée forcément – et ne leur sert qu’à masquer l’abîme qui s’ouvre à l’infini devant eux.
Quelque chose s’est disloqué qui les empêche d’être vraiment en phase avec eux-mêmes, de faire coïncider les actes avec les mots dits, la situation présente avec les souvenirs. Les paroles hésitent, laissent apparaître des béances insurmontables. On cherche en vain à retrouver les gestes d’un rituel perdu. Il n’en reste que le squelette. On a perdu le sens. Tout le théâtre est à réinventer. Et la communauté théâtrale – les spectateurs – avec.
Lagarce ne cesse de mettre en scène le processus de notre disparition à travers la sienne.
Car nous disparaissons nous-mêmes de notre propre réalité, entraînés dans l’histoire, acteurs peu à peu, dans le jeu de plus en plus construit du faux et du semblant qui nous engloutit.
Quand nos illusions ont disparu, que reste-t-il de nos idéaux et de nos utopies ? On regarde, on imagine, on rêve ce que sera sa vie, on croit la voir devant soi, et peu à peu, la vivant, peut-être morts déjà, on se retourne lentement sur soi-même, on observe le chemin qui nous mena là où nous en sommes, aujourd’hui, du pays lointain d’où nous sommes partis.


Raconter notre part infime et misérable du Monde


Et puis il y a aussi parfois dans Music-hall les traces de l’effroi de l’auteur devant la catastrophe culturelle de notre société, qui se profile à l’horizon. « – Comment va le monde ? – Il s’use en grandissant », répond l’artiste, goguenard lui aussi quand le monde tourne au pas cadencé du cynisme, de la vulgarité et de la goguenardise.
Music-hall est une pièce qui parle du théâtre, de la nécessité qu’il y a pour les artistes à monter chaque soir sur la scène pour rester vivants. Lagarce témoigne alors de son engagement dans le théâtre, de sa non résignation, de sa résolution à ne pas baisser les bras même dans les pires moments, quand le désir de renoncement se fait plus violent. Il nous encourage dans notre impuissance à résister, à prétendre encore à notre petite mission dans la Cité. POUR NOUS L’ECART ENTRE RIEN ET PEU.


L’orchestre, dit-on, jouait encore alors que le bateau s’enfonçait paisiblement mais inexorablement dans les flots…


Une comédie


La politesse du désespoir, c’est de rire de tout cela. Et effectivement avec Music-hall, Lagarce revendiquait le rire. Il pensait avoir écrit une pièce drôle. Nous irons chercher ce rire-là dans l’abyme. Le rire anxieux, désespéré et vif d’une grotesque comédie. Ce non-spectacle qu’il imagine est loufoque et inexorable, loufoque parce qu’inexorable. Il n’émane que de la solitude extrême face à l’inévitable.
Les spectres inventés par Lagarce sont un peu comme des enfants perdus ; ils se tiennent la main pour ne pas être seuls ; ils sont juste là entre deux portes, tentant désespérément de rire avec désinvolture pour ne pas hurler de terreur. La dernière bande, la fin de partie de trois ombres qui nous attendent pour l’éternité. « – Et juste, à la fin, le silence, un long temps à ne plus bouger, les uns et les autres, face à face, à s’attendre, chaque côté de la scène, se désirer une fois encore et se regarder disparaître en se saluant. »

Sébastien Bournac

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