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Mexican corner

Frank Micheletti ( Chorégraphie ) , Aladino Rivera Blanca ( Mise en scène )


: Note d’intention

« Nous sommes sur la corde raide » parole anonyme


« Mexican Corner » est une plongée au cœur des violences qui secouent la société mexicaine. Cartographie d’une violence inouïe, d’un déluge de barbarie qui révèle la cruauté sans limite des meurtriers et le sinistre tournoi de brutalités qui ravage le pays. L’entreprise la plus prospère du Mexique ne figure pas au registre légal du commerce. C’est un consortium de cartels de la drogue qui inonde le marché mondial de produits illicites (de la cocaïne à l’héroïne en passant aux drogues de synthèse) et dont l’argent à infiltré 81% du tissu économique et social du pays. Les cartels mexicains sont les plus puissants du monde et font régner au Mexique une guerre civile qui ne dit pas son nom.


Les zones de non droit se multiplient tout au long de la frontière, la facture est lourde : plus de 60 000 morts depuis décembre 2006. Meurtres, mutilations et exécutions apparaissent sur Internet dans une sorte de fusion cyber sado pornographique. Les criminels n’ont pas d’états d’âme : pour eux le corps des victimes est devenu un support à messages « narco- messages ». Les corps sont démembrés et les meurtriers n’hésitent pas à trancher les têtes. Les scènes de crimes dantesques suscitent peur, désarroi et perplexité, voir une fascination pour le mal. Les sociétés criminelles jouent avec les médias et sont engagées dans une guerre symbolique. Révélatrice de la puissance de la mondialisation des images, Internet et téléphones portables, sont aussi importants que les kalachnikovs.


Est-il possible d’enrayer ce cycle de violence ? Au Mexique les cartels sont-ils mortels ? Il semble que l’hydre à mille têtes du narco trafique génère sans cesse de nouveaux leaders. Et même si les têtes sont neutralisées il y a en dessous une structure qui continue toujours d’exister. Pourquoi la corruption et l’impunité persistent t’elles et règnent t’elles dans une société qui a déclaré une réelle volonté de « transition démocratique » ? Le Mexique serait-il un simulacre d’État de droit où les frontières entre le crime organisé et les institutions sont totalement brouillées ? Est-il vrai que les cartels qui contrôlent d’incommensurables flux de drogue et d’argent n’ont jamais été aussi puissants ? Le Mexique serait il un état « captif » où les autorités et le monde des affaires ont été profondément « narcotisés » ? Pourquoi de tels niveaux de violences ? Ce pourrait-il que ce qui arrive ici au Mexique soit le laboratoire post-politique et post- industriel de l’essor d’un capitalisme mafieux ? Les narcos exposent le cancer qui ronge le Mexique : la corruption. L’État peut-il et veut-il démanteler le réseau de protection politique et la structure financière des cartels en s’attaquant notamment aux entreprises qui lui servent de façades légales et blanchissent leur argent ?


Révélatrice des passerelles entre les criminels et les élites qui expliquent la facilité du blanchiment d’argent : la corruption installée dans la moelle osseuse du système politique mexicain où le PRI a gouverné sans alternance pendant 70 ans instaurant un clientélisme et des achats de faveurs. Dans l’État de mexico 30% des électeurs sont disposés à vendre leur vote en échange d’une contrepartie financière.
Les médias adaptent la réalité aux intérêts des politiciens qui les financent, les journaux télévisés ressemblent à des « télénovelas » et le crime organisé infiltre les administrations publiques, la police en tête (les trois quarts des municipalités dans certains Etats sont maintenant gangrenées par les mafias). Où passent les milliards et milliards d’argent sale engendrés par les sociétés criminelles ? Quelles sont leurs ramifications légales ? Quel(les) société(s) blanchissent leur argent ?


« Mexican Corner » est un regard sur la face obscure de la mondialisation et sur son tropisme criminel. Ciudad Juarez, Culiacan, Monterrey, Chihuahua, Nuevo Laredo, Mazatlan, Acapulco, Veracruz, Cuarnavaca, sont classées parmi les cinquante villes les plus violentes au monde. Principales routes commerciales empruntées par les trafiquants, triangle d’or de production de la drogue. Aujourd’hui les cartels opèrent comme les entreprises transnationales avec des activités criminelles très diversifiées outre les trafiquants de drogue et d’armes ils se sont lancés dans l’extorsion, la piraterie, le vol de pétrole, la traite d’êtres humains, la prostitution, les enlèvements et les kidnappings. Au Mexique 90% des délits ne sont pas jugés. L’impunité qui accentue cette dérive meurtrière est un aphrodisiaque pour les criminels.


Le Mexique a pour voisin les États-Unis et partage avec lui la frontière commerciale la plus active de la planète. Il entretient un lien paradoxal fait d’amour et de haine, qui n’empêche pas la culture américaine d’imprégner durablement la société mexicaine. 3% des biens transportés dans cette frontière sont illégaux. Invariablement de la drogue vers le Nord; des armes et de l’argent vers le Sud. Des analystes proposent de renommer les cartels en fonction du circuit financier emprunté : cartels de Sinaloa – Phoenix – Denver, cartels de Juanez – El passo – Chicago, cartels du Golf- Houston – Altlanta. Une des raisons de cette guerre réside dans l’addiction de la société américaine aux drogues. Doté d’une longue frontière poreuse avec les États-Unis destinataires des drogues et pourvoyeur d’armes, le Mexique est là la fois sous l’emprise des cartels locaux et dans une économie très dépendante vis à vis des États-Unis.
Malgré le fait que ce pays confirme une place comme puissance émergente, la pauvreté ne cesse d’augmenter. Plus de 35 millions de mexicains vivent avec moins de 2 dollars par jours. Un des atouts des cartels, en plus des flux de drogue et d’argent, est le flux de main d’œuvre. Ils recrutent dans des régions pauvres où les gens désespérés se mettent à leur service ou sont soumis à la violence pour constituer une armée de base. Les jeunes qui ne travaillent pas et n’étudient pas (les « ni-ni ») sont aussi exposés au recrutement souvent forcé des cartels. Le phénomène a été baptisé « narco exploitation ». Il existe aussi une nouvelle industrie macabre développée par les gangs mexicains : les kidnappings de migrants. Inquiétant négoce, on évalue à plus de 20 000 le nombre de ces enlèvements. Les attaques sur les sans-papiers centraméricains qui sont qualifiés de « victimes invisibles » car personne n’ose porter plainte. Une donné édifiante ressort du rapport d’Amnesty : 6 femmes centraméricaines sur 10 sont victimes de violences sexuelles lors de leur passage par le Mexique.


Pendant la résidence de « Mexican Corner » au Mexique, des interviews et des témoignages nombreux ont été enregistrés et sont utilisés dans la création sonore, mixée en live. Des personnes concernées directement et touchées par ces violences ont livré des paroles intimes et précieuses qui laissent entrevoir les fissures personnelles et collectives où se débat la société mexicaine. Tous ces témoignages révèlent une volonté de rompre le silence, un sursaut que la société mexicaine exige aujourd’hui davantage. Elle n’accepte plus la simulation, de se laisser hypnotiser et idiotiser par les médias. La société civile a démasqué le mythe de la transition démocratique et ne veut plus être dupe de ces faux- semblants.


En plus de ces matériaux sonores que nous avons collectés auprès d’une large diversité de sensibilités de personnes, nous avons tourné avec un jeune réalisateur mexicain (son premier long métrage est en post production) des images en extérieur : désert autoroutes, paysages.. qui seront présentent dans le dispositif scénographique de Mexican Corner . La pièce propose au public un rapport de proximité et d’intimité, les spectateurs enveloppent les quatre faces du plateau dans une situation immersive qui accentue la vulnérabilité des corps et des réalités évoquées.


Mexican Corner dessine dans une approche transversale (dispositif sonore et visuel documentés au Mexique), une implication très directe des corps et des présences, des danseurs, une réalité hors norme qui est celle où des existences sont mises en péril. Certaines voix se font entendre au cri de Mexico Despierta ! (Mexique réveille toi).

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