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Médée-Matériau

mise en scène Brigitte Haentjens

: A propos de la pièce

Médée, résistante Depuis Sénèque et Euripide, depuis La Péruse et Corneille, le mythe de Médée fut revisité des centaines de fois et a donné naissance à des oeuvres majeures, telle la Médée de Pasolini, ce film somptueux dans lequel le cinéaste marxiste et catholique faisait de Médée une tragédie de la barbarie et de la démesure, une oeuvre primitive et cérémonielle. Du Brésil et d’Afrique, d’Indochine et du Viêt-nam nous sont venues des Médée qui se livraient au procès du colonialisme et de l’occupation de leur territoire par le pouvoir mâle. Médée le disait déjà chez Euripide : «Oui, sur une foule de points, je suis en désaccord avec la foule des hommes.» À ses yeux, l’homme est un maître tyrannique, qui exige de la femme qu’elle obéisse à des lois qu’elle ne reconnaît pas, ce qui lui fait conclure : «De tous les êtres doués de vie et de pensée, c’est bien nous autres femmes qui sommes le rameau le plus misérable.» Dans cette guerre sans merci entre le dominant et la dominée, entre le Grec et la barbare, entre l’occupant et la réfugiée, les enfants deviennent «l’arme absolue du pauvre». Les tuer équivaut à arrêter le tic-tac inexorable du destin. Plus encore – geste révolutionnaire absolu –, les tuer consiste à fermer la fabrique à soldats.


Deutschland 1982 Déjà à la fin de Hamlet-machine de Müller, Ophélie prédisait le geste extrémiste de Médée : «C’est Électre qui parle. Au coeur de l’obscurité. Sous le soleil de la torture. Aux métropoles du monde. Au nom des victimes. Je rejette toute la semence que j’ai reçue. Je change le lait de mes seins en poison mortel. Je reprends le monde auquel j’ai donné naissance. J’étouffe entre mes cuisses le monde auquel j’ai donné naissance. Je l’ensevelis dans ma honte. À bas le bonheur de la soumission. Vive la haine, le mépris, le soulèvement, la mort.»
Ce monologue final d’Ophélie faisait écho aux propos tenus plus tôt par Hamlet : «On devrait coudre les femmes, un monde sans mères. Nous pourrions nous massacrer tranquillement les uns les autres, et avec quelque espoir, quand la vie nous devient trop longue ou la gorge trop serrée pour nos cris.» Écrit en 1982, six ans après Hamlet-machine, Médée-Matériau, reprend donc le discours d’Ophélie là où on l’avait laissée. Et Médée vient donner raison à Ophélie: non seulement elle tue la vie qu’elle a donnée, mais toute possibilité de vie en elle, condamnant ainsi l’homme à la mortalité.


Formé de trois textes (Rivage à l’abandon, Matériau-Médée et Paysage avec Argonautes), Médée-Matériau constitue un triptyque politique, érotique et métaphysique portant sur le joyeux nihilisme de nos sociétés actuelles – vaste rivage à l’abandon jonché des débris de l’Histoire – et sur le combat auxquels continuent de se livrer capitalisme et marxisme, néolibéralisme et communisme, Occident et Orient, hommes et femmes dans un paysage mondial de plus en plus dévasté. «À la nécrophilie actuelle qui se manifeste dans l’acier, le verre ou le béton (et qui ne s’arrête pas du reste à la porte des théâtres), faut-il opposer quelque chose comme «la parole vivante»?», demandait un autre écrivain d’Allemagne de l’Est, Christa Wolf, dans son Cassandre. «Le théâtre, répond Heiner Müller, établi dans la déchirure entre le temps du sujet et le temps de l’histoire, est l’une des dernières demeures de l’utopie.»


Sept ans avant la chute du Mur de Berlin, à une époque où, déjà, artistes et intellectuels faisaient comme si le marxisme n’avait été qu’une erreur historique, l’archéologue Heiner Müller retourne vers l’Antiquité, fouille l’Histoire, en exhume les cadavres et tente de trouver dans le grand mythe fondateur de Médée une métaphore des combats socio-politiques actuels. Et Brigitte Haentjens, convaincue elle aussi que le théâtre peut être un outil de transformation des consciences dans un monde marqué par la perte des repères, revient à l’oeuvre de Heiner Müller, après Quartett (GO, 1996) et Hamlet-machine (Sibyllines, 2001), et se tourne à nouveau, après Électre (GO, 2000) et Antigone (Trident, 2002), vers un grand texte fondateur et un mythe féminin susceptible d’éclairer l’Histoire et de provoquer un dialogue avec le présent. Médée n’est pas, aux yeux de Müller comme à ceux de Brigitte Haentjens et de toute son équipe, une figure rigide et pétrifiée, mais bien un espace à explorer, à faire revivre, à interpréter, à imaginer. Pour eux, porter un regard sur cette histoire antique, c’est oser se laisser voir, se laisser saisir par des personnages issus de la nuit des temps. C’est aussi se livrer à un théâtre où l’intime et le politique sont rivés l’un à l’autre, soudés par la lucidité et la pensée cinglante de Heiner Müller.


Médée-Matériau marque aussi le retour attendu de cette immense comédienne qu’est Sylvie Drapeau, sans qui le théâtre québécois ne serait pas tout à fait ce qu’il est, de cette comédienne étrangement sereine qui toujours contemple le chaos avec sagesse, y plonge avec tendresse et ressemble en fait aux héroïnes qu’elle incarne, c’est-à-dire à la fois transparente et mystérieuse. Avec une liberté souveraine, cette actrice qui a affronté les plus grands auteurs et les plus grands rôles, a donné vie depuis bientôt vingt ans aux femmes les plus démesurées et les plus redoutables du répertoire: Julie, Lulu, Hedda, Albertine, Lady Macbeth et, sous la direction de Brigitte Haentjens, Bérénice de Racine et Winnie dans Oh les beaux jours de Beckett. Aujourd’hui, Sylvie Drapeau est Médée, la barbare, la répudiée, la farouche opposante à tous les régimes totalitaires, la condamnée à un perpétuel exil. Elle donne vie au mythe féminin le plus effrayant et le plus troublant. Et elle le fait en compagnie de complices issus de plusieurs disciplines artistiques : Gaétan Nadeau (Jason), Annie Berthiaume, Émilie Laforest et Mathilde Monnard sur scène et, autour de la scène, Stéphane Lépine, Anick La Bissonnière, Louis Hudon, Robert Normandeau, Claude Cournoyer, Angelo Barsetti et Colette Drouin.

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