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Long Life

+ d'infos sur l'adaptation de Alvis Hermanis ,
mise en scène Alvis Hermanis

: Note d'intention

Long Life relate une journée dans la vie de très vieux retraités habitant un appartement communautaire de Riga. Un ancien Premier ministre letton m'a dit un jour que les institutions économiques internationales chargées de superviser le passage des pays d'Europe de l'est à une économie de marché avaient posé le sacrifice des retraités comme condition nécessaire pour assurer la transition du communisme au capitalisme. Ces pays pauvres ont donc dû utiliser l'argent des fonds de retraite pour d'autres investissements. Du coup, tous les gens de l'âge de mes parents sont devenus des parias. La société les a économiquement isolés et a ainsi créé les conditions d'une expérience anthropologique rappelant ces émissions de télé réalité dont les règles du jeu seraient restées floues : le gagnant est-il celui qui meurt en premier ou en dernier ? Notre spectacle donne au public l'occasion unique de devenir les témoins de ce «parc zoologique».
Le plus souvent, une pièce de théâtre développe un, parfois deux ou trois points de vue. Dans le cas de Long life, nous en développons cinq. Lorsqu'il n'y en a qu'un la pièce devient inévitablement didactique car elle oriente, cadre, voire manipule le spectateur. En revanche, lorsque les points de vue se multiplient et qu'aucun n'est privilégié, le spectateur se trouve dans une situation radicalement différente et, de lui-même, commence à se raconter la pièce. Tarkovski appelait ce processus : «l'édition intérieure». Ainsi, à la fin du spectacle, il y a autant d'interprétations que de spectateurs car chacun aura agencé son propre enchaînement de séquences.
L'année dernière, j'ai regardé des émissions de télé réalité durant trois semaines afin d'en comprendre la nature. Depuis, j'ai la conviction que la télé réalité a dramatiquement remis en cause le sens du travail de l'acteur. Le comédien a perdu le monopole de l'imitation de la réalité et cela entame radicalement sa crédibilité. Nous cherchons donc, par notre manière de jouer, une solution pour sortir de cette situation. Dans Long Life, le jeu des comédiens est porté à un tel niveau de fabrication et de construction, que les spectateurs regardent les comédiens comme ils regarderaient des acrobates de cirques.
Ceux qui disent que Long Life est une expérimentation et non une pièce de théâtre, sont par trop attachés au déroulé d'un scénario ainsi qu'à l'idée que le théâtre doit raconter des histoires. Mais les histoires peuvent prendre différentes formes. On pourrait ainsi dire que Long Life est une pièce aussi «ennuyeuse» que l'œuvre de Marcel Proust et la musique symphonique.
C'est un spectacle très abouti, avec une dramaturgie très précise, mais cette dramaturgie est légèrement décalée.
Les acteurs sont co-auteurs de la pièce. Il est clair qu'un comédien qui serait incapable d'être co-auteur de son rôle et de la pièce n'aurait pas sa place dans notre troupe. Des centaines de saynètes ont été créées pour le spectacle. Les comédiens les ont préparées, jouées les uns aux autres puis les ont retravaillées.
Nous n'avions pas de texte pour Long Life. Nous avions bien sûr la possibilité d'en composer un, mais il nous a semblé plus important que le monde des objets soit le partenaire des comédiens, que les dialogues soient canalisés et n'existent qu'à travers ces objets familiers. Car, comme pourrait l'avoir remarqué un observateur averti, les personnes âgées, investissent plus particulièrement leurs objets familiers d'une âme. Je me suis beaucoup inspiré de ce que m'a raconté un acteur : dans sa famille, depuis des générations, les hommes, arrivés à la soixantaine, comprennent que ça ne sert à rien de parler ; alors ils cessent de le faire et le reste de la famille doit s'en accommoder. Cette idée m'est apparue très poétique.
Par ailleurs, notre travail fait implicitement référence à la méthode que Stanislavski développa durant les dernières années de sa vie, méthode qui récusait le système dramatique alors en place. Pour résumer, un rôle ne peut être créé que par la construction d'une suite d'actions de nature purement physique. Si vous étiez né où et quand je suis né, si vous aviez grandi dans les mêmes conditions que moi, vous auriez suivi un chemin de vie identique au mien, déterminé par ces caractéristiques ou actions physiques. (…) Si les comédiens sont uniquement attentifs à la logique du corps, au monde physique, alors le monde des émotions émergera naturellement, de lui-même et à sa suite.
Je ne m'aventurerai pas à définir le genre et encore moins à parler d'une nouvelle forme de réalité parce que dans ce type de pièces tout est «sous contrôle». C'est encore et toujours de l'art dans le sens où les comédiens ne sont pas manipulés et qu'ils participent consciemment à ce travail. Ceux de Long Life, en plus d'être tous des adultes responsables, sont de grands professionnels expérimentés. On pourrait plutôt parler d'un nouveau degré de précision dans la représentation du réel. Ce n'est ni du réalisme ni du documentaire… Le même mensonge, mais à un degré différent.


Alvis Hermanis
Texte pour la Première, le 9 décembre 2003

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