: Storm clouds over London
La scène est à Londres. La neige s’abat sur la Tamise, manteau
tempétueux et glacial étouffant les rumeurs des humbles et les
manigances des puissants.
Un homme agonise au palais, un deuxième s’enlise dans les égouts, un
troisième terrorise dans les coulisses.
Edouard, Georges, Richard.
Entre cette trinité machiste qui restera d’un bout à l’autre de la pièce
invisible à nos yeux -, piétinant la scène entre les salons où se mire le
pouvoir et les entrepôts où s’égarent les progénitures chéries, six reines :
Anne Warwick, Isabelle Warwick, Anne Dexter, la Reine Elisabeth, la
Duchesse d’York, la Reine Marguerite, soit quatre femmes échappées de
Shakespeare et de la généalogie des monarchies britanniques, et deux
nées de l’imagination fertile et narquoise de Normand Chaurette.
Les voici devant nous, offertes à la pâture de notre regard, obsédées par
la disparition qui les guette, « monstres - ainsi que les définit l’auteur luimême
- faillibles, amputés, d’une main, d’une couronne, d’une joie, d’une
chevelure ».
Elles sont là, - cris et grimaces, plaintes et rugissements, chuchotements et
invectives, générosités et violences, maternités blessées, rêves et
cauchemars -, épouses, mères, soeurs, et filles, qui attendent, se trompent,
se déchirent, errent, mentent, se mentent, s’inventent des départs,
s’humilient, égarent des enfants, pleurent, maugréent, se perdent,
éructent, menacent, tentant en vain d’infléchir une histoire qu’elles ne
contrôlent pas, entre un passé dont elles ont été dépossédées et un futur
qui signera leur ultime effondrement.
Nous sommes en 1483, mais il s’agit d’un temps outragé, dilaté, qui
conduit ces femmes jusqu’aux rives de notre siècle.
Point de reconstitution historique ici - l’écriture traverse Shakespeare et
l’histoire, l’absorbe et s’en détache -, seulement l’exposition d’un monde
imaginé comme seul le poète peut en faire éclore, où une reine peut faire
un voyage de plusieurs mois dans le cours d’une seule journée, et une
muette se mettre à parler, dans une langue riche et charnue qui mêle
lyrisme et trivialité, burlesque et pathétique.
Philippe Sireuil
novembre 2010
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