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Les Pots faut les tourner

mise en scène Jacques David

: Présentation

La pièce


Une fille rend visite à ses parents. Elle n’est plus une gamine, peut-être la trentaine, elle ne peut pas en placer une… Ils sont dans l'une des pièces de leur appartement ou de leur pavillon. Pour remplir les vides et les silences on parle, on parle… de chaussures, des chats, des dômes de silence et des pots qu’il faut tourner pour que les plantes poussent droites. C'est un face à face parent enfant. Un face à face à soi-même.


Ce texte est une jubilante exaspération du langage commun, masque de la solitude absolue. Anne-Marie Kraemer déconstruit l’apparente banalité de notre quotidien, avec une violence douce où se mêlent rire et angoisse.




Rencontre


Yves Arnault a découvert et mis en lecture ce texte avec Dominique Jacquet dans le cadre des activités de l’association « A mots découverts ».
Comme metteur en scène j'attache une grande importance aux propositions faites par les acteurs, mais aussi, à la poursuite et au développement d'un compagnonnage avec les comédiens déjà impliqués dans mes précédentes créations. Ainsi Yves Arnault, Dominique Jacquet et Nathalie Ortega, après Journée de noces chez les Cromagnon, se retrouveront pour être une nouvelle fois le père, la mère et la fille dans Les pots faut les tourner, projet d’acteurs.


Jacques David




La mise en scène


De prime abord il n'y a rien, et l'on se demande quel drame se joue. Il n'y a pas de fable, et ces gens sont aussi simples que le mot «Normal». C'est donc cette «normalité» qui va nous intéresser, en cherchant avec les acteurs sa mise en jeu, pour donner la représentation dramatique de la « normalité ». Qu’est ce qui se cache derrière la norme, et pourquoi la norme est-elle devenue aujourd'hui dramatique.


NORMAL !


La première réplique de la pièce d'Anne-Marie Kraemer claque et sonne comme la porte vitrée d'une quincaillerie, qui, une fois poussée, vous ouvre au monde insondable du rayonnage. Dans ce silence suspendu, qui précède l'arrivée rassurante de la dame au chignon bien tiré, ou du monsieur à la blouse grise, en ce début de matinée que l'odeur du repas de midi a déjà entamée, vous êtes alors dans la certitude d'acquérir enfin l'introuvable joint. Mais voilà que se présente à vous le Père, la Fille, et la Mère et en commerçants bien appliqués, ils vont vous aider à satisfaire votre demande. Or à cet instant même tout espoir de voir surgir une solution à vos problèmes de robinetterie en fuite s'annihile dans les méandres d'un ordre trop apparent, contraint que vous êtes à assister à cette exhibition de la normalité familiale. Car ici tout est normal ! Chaque parole a une place dans un registre, où la classification et la subdivision des détails vous laissent entrevoir que la recherche de l'objet va prendre du temps. Bien entendu vous êtes poli, et vous ne pouvez pas quitter ce magasin sans avoir fait preuve de quelque intérêt aux propositions qui vous sont offertes. Néanmoins ce spectacle de la normalité vous fascine et sans vous en apercevoir, votre esprit glisse, et vous vous surprenez à penser, comment ces gens, comment l'homme en est arrivé à emmagasiner en lui une telle quincaillerie de sujets tordus, tous étanches les uns aux autres dans les rayonnages de son existence.
Pendant qu'ils cherchent le joint, vous interrogez vos lectures, celles des jours chaumés passés à comprendre ce que veut bien dire travailler, société etc…, et il vous revient à la mémoire cet ouvrage, les cours que Michel Foucault a donnés au collège de France, réunis sous le titre : Les Anormaux. Voilà, ils s'engueulent à propos du joint émotionnel qui n'était pas à sa place ! Oui, c'est bien là qu'il est question du processus de normalisation : comment la révolution bourgeoise, par soucis mercantiliste, a mis en place une nouvelle économie du pouvoir de punir, qui se ramifie jusqu'à nos jours par l'église, l'éducation, la médecine, la psychiatrie, afin de contrôler l'anomalie au plus près : les parents, les frères, les sœurs, la chambre, le lit, le corps, toute une espèce de micro-cellule autour de l'individu et de son corps. C'est midi et le Père crie au moment où encore plongé dans vos pensées, cette phrase vous revient en mémoire : "La sexualité, en Occident, ce n'est pas ce qu'on tait, ce n'est pas ce qu'on est obligé de taire, c'est ce qu'on est obligé d'avouer".


tu les tournes les pots
hein
dis, hein faut les tourner
tu lui as dit
Henriette, dis-lui
explique-lui


Ha ! Et tout ça est du théâtre ! Il faut dire aux comédiens que sous la normalité il faut jouer la monstruosité.
La quincaillerie a disparu. La fille et les parents restent. Les parents s'agitent dans une chorégraphie de gestes puérils aux détails révélateurs de leur espaces intimes, sous le regard de leur fille qui, comme le tronc d'un genévrier ravagé par l'incendie de la garrigue, se dresse seule sur le ciel rougi, dans les cendres et les rocs d'une «société qui depuis plus d'un siècle se fustige bruyamment de son hypocrisie, parle avec prolixité de son propre silence, s'acharne à détailler ce qu'elle ne dit pas»*.


Jacques David


*La volonté de savoir Michel Foucault.




La scénographie


La pièce se situe dans la salle à manger d’un appartement ou d’une maison de ville.
L’espace scénique donnera l’idée au spectateur que les individus de cette famille sont dépassés par ce qu’il sont, ce qu’ils vivent. Un mur d' une largeur de six mètres et de cinq mètres de haut, est placé très à l’avant scène, très proche du public. Espace qui, par son immense à plat restitue à la fois l'intimité et l’écrasement des personnages qui se trouvent devant. En haut du mur, une fenêtre est inaccessible. Donc un espace de jeu pour les comédiens extrêmement restreint.


théâtre / appartement


À partir de ce dispositif, il sera simple de passer à une forme mobile en appartement, en somme le contexte naturel de la pièce : il y aura peu de changement pour les comédiens entre les deux versions, l’essentiel du travail de mise en scène s’articulant autour de la direction d’acteur ; l’espace de jeu reste le même dans les deux configurations et le propos de la pièce est respecté. L’idée étant, à partir de ce texte dont l’action se situe en appartement, de développer deux propositions théâtrales : l’une destinée aux théâtres avec une scénographie qui mette en évidence comment le social, l'événement politique (le mur) peut bouleverser l'intime, l'être au plus profond de soi ; l’autre destinée à être présentée en appartement où l’intime est déjà mis en situation puisque nous sommes dans l’intimité de l’appartement.




Autour des Pots… un théâtre contemporain pour une philosophie contemporaine


Ce projet peut répondre à la demande de travail en direction du public qu’un lieu d’accueil, une structure de diffusion, etc…, souhaiterait effectuer en collaboration avec nous afin de préparer l’accueil de notre spectacle


La pièce d’Anne-Marie Kraemer est une photo de famille en mouvement. Une photo de LA FAMILLE d'aujourd'hui, une famille de gens ordinaires, sans histoire, en quelque sorte une famille banale, sans intérêt et normale. C'est cette absence d'intérêt, cette absence de "drame" à l'intérieur même d'une œuvre dramatique, qui pose question. C'est donc notre notion du drame, qu'il faut examiner et interroger. Pourquoi et comment ces petits crimes intimes, quotidiens, banals et incestueux de la vie familiale se sont substitués dans la dramaturgie contemporaine aux grands drames shakespeariens ?
Ce questionnement est permanent dans l'œuvre de Michel Foucault. Bien sûr il ne s'agit pas de dramaturgie chez Foucault, mais de l’analyse par "L'exercice du pouvoir de punir" de l'individu comme objet de contrôle. Cet objet/individu et sa dangerosité potentielle sont la convoitise de tous les systèmes du pouvoir politique et mercantile, ils sont au centre —je site— "de cette famille moderne sexuellement irradiée et saturée, et médicalement inquiète". Le théâtre, la dramaturgie, même si elle est fiction, seront toujours l'expression d'un temps, d'une époque. C’est là le questionnement qui anime mes créations depuis quelques années, à savoir : comment le social, l'événement politique peuvent bouleverser l'intime, l'être au plus profond de soi. Cet "intime/social", je propose de le mettre en lecture : remettre en parole les cours donnés par Michel Foucault au Collège de France en 1975, réunis sous le titre " LES ANORMAUX " (collection Hautes Etudes aux éditions Gallimard – Seuil). Un philosophe, Bertrand Ogilvie*, est sur scène. Il interrogera Foucault à travers son texte, pris en charge par les comédiens, aller-retour de « questions/réponses » auxquelles le public pourra s’associer.


Jacques David


* professeur de philosophie et psychanalyste, enseigne à l'Université de Paris X-Nanterre. Directeur de collection aux Presses Universitaires de France, co-animateur avec Alain Badiou du Centre International d'Étude sur la Philosophie Française Contemporaine (CIEPFC), centre de recherche de l'ENS-Ulm, il a organisé plusieurs colloques sur la violence, la politique et la propriété au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle en collaboration avec Étienne Balibar, avec lequel il conduit un séminaire depuis plusieurs années sur des questions de philosophie politique : cette année sur les racismes et leur avenir.

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