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Le Pouvoir des folies théâtrales

+ d'infos sur le texte de Jan Fabre
mise en scène Jan Fabre

: Présentation

Le pouvoir des folies théâtrales (De macht der theaterlijke dwaasheden): le titre ressemble à une pose solennelle sur l’autel du théâtre. La grandeur passée du théâtre y est célébrée avec de nombreux froufrous, des fauteuils carmin et des dorures clinquantes. Le titre évoque l’écho des rumeurs dans les loges, le tintement des flûtes à champagne dans les salles de bal majestueuses, l’exaltation à l’égard d’acteurs et d’actrices en quête de sentiment, l’égarement de la scène théâtrale baroque. Le théâtre du dix-neuvième siècle y est montré comme le délassement de choix de la bourgeoisie que ces hallucinations enchanteresses agréent. Les illusions présentées ne sont plus théâtrales, elles sont « theater-lijk » (comme du théâtre; littéralement: théâtre-cadavre), un néologisme Fabrien qui, en néerlandais, s’annonce comme un service funèbre : le cadavre du théâtre est exposé sur l’autel de la salle de spectacle. Dans ce funérarium, nous lui disons adieu avec une ode qui à la fois chante les louanges du défunt et le bannit pour l’éternité dans son caveau.


« Le pouvoir… » est avant tout une pièce historique. Elle écrit l’histoire. Non seulement dans l’œuvre de Fabre même – la production confirme définitivement sa percée internationale – mais elle dévoile également le point final auquel est arrivée l’économie de l’illusion, pour mieux le dépasser. Comme moment-clé dans l’histoire de l’illusion théâtrale, Fabre choisit la plus grande création de Wagner : « L’Anneau du Nibelung ». Non seulement Wagner transforme le genre de l’opéra en Gesamtkunstwerk, il est aussi le premier à éteindre la lumière dans la salle et à affranchir ainsi un média populaire en produit esthétique autonome. « Le Pouvoir des folies théâtrales » cite ce moment de basculement dans une scène extrêmement longue et douloureuse au cours de laquelle une actrice se voit brutalement refuser l’accès à la scène. Elle griffe, mord, séduit, jure et hurle, mais l’acteur qui garde la scène la tire et la traîne, et la repousse toujours plus violemment. Ce n’est que lorsqu’elle répond à l’énigme sans cesse répétée – « 1876 ? » – en mentionnant la date de la première de « L’Anneau… », que l’accès à la scène, berceau des apparences théâtrales, lui est accordé.


Parallèlement à cette évocation de l’histoire du théâtre, Fabre donne vie au conte de fées « Les habits neufs de l'empereur » d’Andersen. Au centre se trouve un empereur, armé d’un sceptre et d’une couronne, drapant son costume invisible autour de son corps nu et tentant ainsi d’impressionner ses sujets. Pendant presque toute la représentation, il marche à grands pas sous notre regard, impressionnant et aveuglant. Avec la démonstration de ce sublime mensonge, de cette ultime mascarade, Fabre met en scène un regnum au bout du rouleau. Son geste est à la fois une évocation et une destruction. D’innombrables scènes montrent les fastes du mensonge. Nous voulons tant croire en ces grenouilles qui se transforment en princes ou en héros qui vénèrent leur princesse. Fabre crée sa propre Gesamtkunstwerk en projetant un enchevêtrement écrasant de tableaux de l’école maniériste, avec des citations des œuvres musicales de Richard Wagner, Richard Strauss, Othmar Schoeck, Bizet… et avec la musique minimaliste de Wim Mertens, alors que sur scène dominent des gestes épurés. C’est un tout remarquablement éclectique, dominé par la pose, l’emphase et le maniérisme. Toute cette pompe est toutefois écrasée sur scène par le sens des réalités ; par une répétition interminable et une accélération fanatique, les héros et les princesses deviennent des masses suantes, et un ballet dégénère en chorégraphie de plus en plus chancelante. La durée de l’action en temps réel envoie ainsi au tapis le mensonge de la fiction.


Dans « Le pouvoir des folies théâtrales », Fabre déploie les principes du pouvoir. Avec une référence à Foucault, il dresse le portrait de la systématique de la discipline. La résistance physique des acteurs est constamment poussée dans ses dernières limites. L’uniformité des mouvements et des habits s’emparent du moindre signe d’individualité. Ordre et soumission régissent les actes sur scène.


Mais à travers cette violence, ou grâce à elle, le pouvoir d’un nouveau théâtre contemporain émerge. Au-delà de Wagner. Au-delà de tous les innovateurs cités de nombreuses fois tout au long de la pièce, de Béjart à Brook, de Mabou Mines à Müller. À la fin de la représentation, un acteur prend une actrice sur ses genoux et frappe ses fesses nues jusqu’au moment où elle ne peut plus le supporter, elle donne alors la réponse à son énigme : « 1982 ? »: « C'est du théâtre comme il était à espérer et à prévoir », hurle l’actrice, les fesses rouges. Fabre s’inscrit lui-même dans l’histoire du théâtre. Dans le rouge, l’or et les froufrous du théâtre, formidable machine à rêves, il dissimule la mèche du real time/real action de la performance. L’explosion s’entend à des kilomètres à la ronde.

Luk Van den Dries

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