Après avoir monté Platonov la saison dernière au Théâtre Océan Nord, Thibaut Wenger se lance à nouveau dans une folle aventure tchekhovienne en mettant en scène LA CERISAIE, « parabole éternelle sur le destin de l’être humain » pris dans l’entre-deux de l’ancien et du nouveau. En s’appuyant sur une distribution choisie pour la circonstance, composée en partie d’un noyau de fidèles comédiens, il défend un théâtre d’acteurs et de répertoire. Il nous livre une version de La Cerisaie qui devrait marquer tant par son casting que par la fragilité et la douceur qui en sont révélées. 110 ans après sa création, l’œuvre de Tchekhov est toujours aussi troublante. Elle est pour Thibaut Wenger une pièce-paysage dans laquelle un petit lopin de terre devient un continent de nuits blanches, de rêves et de spectres…

Dans le plus beau domaine du monde, l’heure est à l’émotion et à l’excitation. On célèbre le retour de la propriétaire, Lioubov. Quelque chose pourtant sonne faux. Ce n’est plus comme avant. La cerisaie n’est plus qu’une banquise, un rêve d’eau noire, hantée par des fantômes. Incapables de voir que la cerisaie s’écroule, ces inadaptés improductifs qui se regroupent autour de Lioubov continuent à badiner, à vivre dans leurs souvenirs. Mais la réalité les rattrape : le domaine qui est en faillite n’est plus qu’un capharnaüm improbable qui doit être vendu… ou détruit. Les temps ont bel et bien changé. Le marchand Lopakhine, dont la famille pauvre était au service de celle de Lioubov, s’est considérablement enrichi. Il faut à présent accepter que les rôles changent, que s’inverse le rapport dominant-dominé. Mais il est difficile de redéfinir les rôles dans un monde en mutation, surtout quand on reste campé sur ses positions, ses rêves. La Cerisaie pourtant ne se résume pas à la nostalgie d’un monde englouti. La pièce évoque cette éternelle opposition entre deux mondes qui ne peuvent se comprendre. Entre l’ancien et le nouveau, entre le concret et le monde fantasmé, entre la beauté et le progrès, entre un passé qui a tout dit et un futur inconnu, se retrouvent toujours face à face ceux qui restent attachés au passé et craignent un avenir incertain, et ceux qui aspirent au changement.