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L'Homme de février

+ d'infos sur le texte de Gildas Milin
mise en scène Gildas Milin

: Présentation

Cristal a toujours rêvé de chanter


Chanter de simples chansons.Très jeune, elle doit faire face à une impossibilité. Sa timidité a toujours été si grande, son incapacité à gérer ses émotions a toujours été si forte, qu’elle ne peut tout simplement pas se tenir devant un public sans être couverte de plaques rouges, sans se mettre à gonfler, sans s’évanouir, sans perdre la voix, sans vouloir disparaître. Des dizaines de fois en quelques années, elle renonce à son rêve, puis se mobilise à nouveau, puis se décourage encore. Enfin, elle décide de devenir quelqu’un d’autre ou plutôt de devenir celle qu’elle croit être véritablement. Cristal devient son propre laboratoire. À coups de bêta-alpha bloquants, d’antidépresseurs, d’anxiolytiques, d’antihistaminiques, de corticoïdes, de cocktails de dopants de toutes sortes, elle se forge à la fois une voix et une personnalité capable d’affronter le public. Cristal a presque réussi sa mutation quand elle se livre à Christelle : une chanteuse légèrement plus jeune qu’elle, à qui la vie sourit et qui n’a jamais eu besoin pour chanter d’utiliser la moindre substance. Une amitié naît entre les deux femmes, puis entre les différents musiciens qui les accompagnent. Cristal est à nouveau dévorée par le doute. Christelle invente une fiction pour sortir son amie de la douleur : L’homme de février.





Fiction et réparation


L’anecdote de L’homme de février renvoie au travail du thérapeute américain Milton H. Erickson. Alors qu’il était mis en échec face à des patients victimes de tels déficits de la capacité à être heureux, et qu’après un certain nombre de tentatives de suicide, ils s’enfermaient dans une sorte de mutisme total, Milton Erickson recourt à la fiction. Il propose à ces patients d’inventer un personnage fictif : de se dire qu’à partir de maintenant, ce personnage fictif, cet « homme de février » sera toujours là auprès d’eux à les encourager, à les aimer. Il demande à ces patients d’imaginer l’homme de février les accompagnant, les rassurant, et il constate de réels changements dans leur perception du monde et dans leur aptitude à communiquer.
Pour lui, la fiction est porteuse de réparation. La pièce L’homme de février est une fiction sur un ensemble de fictions créées par un personnage, Cristal, pour se réparer.
On assiste aujourd’hui à une propagation des zoos d’artistes : de Star Academy à toutes sortes de reality shows, jeux... Il y a, derrière tout ça, un stratagème du capitalisme qui consiste à faire croire au plus grand nombre que chacun est acteur (depuis son site, son blog, film personnel, télévision personnalisée...) là où il n’est l’acteur que d’une consommation organisée.
Un des univers traversé par Cristal est un zoo d’artistes, tel qu’il en existera sous peu: un studio d’enregistrement où on cherche à capter, mesurer, commenter les intuitions fondamentales des artistes en état de création. Derrière cette brutalité se cache le désir de supprimer toute invisibilité et se dessine un monde d’acteurs sans spectateurs.


Gildas Milin




Comédie et Rock n’Roll


Le travail autour de L’homme de février a commencé avec une série de happenings (Avignon 25e heure, résidence au Nouveau Théâtre de Besançon et festival de Pont à Mousson) et j’ai tout de suite eu le sentiment partagé avec les spectateurs et les acteurs qu’il nous était impossible tout en travaillant sérieusement de nous prendre au sérieux.
Le Rock n’Roll est un simplificateur. Je me suis toujours dit qu’on pouvait entendre un acteur dire une page entière d’équations sans que ce soit trop indigeste pour peu qu’il en chante la mélodie. Le Rock n’Roll révèle de façon sensible que l’observation du chaos, de la créativité, de la vie nous ramène toujours à l’idée que le réel est un mélange d’ondes et d’ondes brisées. Enfin puisqu’il est question de réparation, il est de plus en clair, je crois, pour beaucoup de thérapeutes, que la musique (notamment le Rock n’Roll) a des vertus réparatrices.


Sciences et poésie


Je me suis intéressé à tout ce qui pouvait me faire peur dans des phénomènes de dépersonnalisation, qu’ils soient plus légers – un acteur s’apprêtant à jouer un rôle, un chanteur à chanter – ou qu’ils soient plus lourds – transes, possessions, schizophrénies. Puis avec le temps, j’ai étudié les fonctionnements du corps, du cerveau, jusqu’aux interrogations de la mécanique quantique portant sur le réel, le chaos, la créativité de la nature.
Quelles similitudes entre les scientifiques et les artistes ? Les deux sont porteurs d’intelligences spécifiques, et les deux produisent des intuitions fondamentales. Les scientifiques utilisent des outils imaginaires (comme le temps imaginaire utilisé par les mathématiciens) pour appréhender des phénomènes plus ou moins chaotiques et j’utilise ici des outils scientifiques pour nourrir la fiction et le travail des acteurs.


Perturbateurs perturbés et ainsi de suite


Le spectacle interroge la production du sens et du ressenti. Là où il n’est pas dit qu’on puisse définir avec des mots le sens de la vie, il est possible qu’un tramage incertain des mots et d’un ressenti permettent de percevoir quelque chose d’une multiplicité de sens, d’un ensemble de directions. Ici le sens n’est plus définitionnel mais directionnel, il vise des directions multiples en utilisant les cinq sens et il s’adresse à des formes de la conscience beaucoup plus élargies que la seule conscience subjective, conscience de soi, conscience analytique, petite bibliothèque sémantique personnelle.
La pièce décrit un processus psychique aussi simple et complexe qu’un rêve, par lequel le rêveur produit une réparation relative à des événements irréparables, traumatiques. Ce rêve est un voyage entre la mort clinique et la mort biologique de Cristal, rêve dans lequel les personnages, le public traversent, avec elle, des séries d’univers. Un des univers traversé est une chambre de mesure quantique inédite telle qu’on pourrait l’imaginer dans cinq siècles. À l’intérieur de cette chambre des scientifiques mesurent, dans une bande de variabilité, toutes les interactions existantes, tous les échanges d’énergie, toutes les mutations à l’intérieur des quatre champs de force connus (force gravitationnelle, force électromagnétique, force forte, force faible), toutes les corrélations particulaires entre les objets, les flux, les personnes en présence. Dans un système, où l’échelle de mesure est inférieure à l’atome, chaque spectateur peut entrevoir que son énergie, ses pensées, ses émanations perturbent l’assemblée théâtrale. Tout le monde perturbe tout le monde comme dans tout spectacle, mais ici les perturbations et les incidences des uns sur les autres sont l’objet même de la représentation.


Aller ou ne pas aller à l’infini


L’avenir est plus incertain que tout ce qu’il est possible de dire, de présager. Les bases instables du travail sont l’incertitude, le déséquilibre, la vie. Les systèmes dits « à l’équilibre » génèrent leur propre entropie, leur propre mort, leur propre désordre : une eau qui stagne est vouée au croupissement, à la disparition, contrairement à une eau en mouvement, en déséquilibre, qui lutte contre l’entropie.
Il s’agit de bousculer, de déséquilibrer légèrement les lois les plus repérées de la représentation. Je propose au spectateur d’être d’abord perdu et incertain dans son rapport « habituel » avec la représentation sans le laisser totalement désespéré de la possibilité de pouvoir à un moment singulier créer ses propres outils de goût et de compréhension.
Dans le respect de la représentation, les spectateurs mobiles, libres de tous mouvements peuvent se rapprocher ou s’éloigner dans un dispositif multi frontal. Les spectateurs deviennent les acteurs d’une sculpture vivante. L’écriture scénique brouille les repères, amène les spectateurs à jouer un rôle, à occuper une place inconnue et déconditionnée.


Gildas Milin
Février 2006

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