À la première lecture à voix haute de ce texte, j'ai été saisi par la clarté de la langue, sa musicalité hautement poétique. La forme tragique du texte, au-delà de son actualité et de sa pertinence, atteint une universalité, nous happe dans une spirale vertigineuse, révélant la complexité des rapports humains au sein d'une même communauté, une humanité incapable de gérer le bien commun.
L'écriture de Philippe Malone est un choc émotionnel qui nous permet de replacer l'Homme, ici des femmes, non comme de simples victimes de la guerre économique mais dans un contexte bien plus vaste lié à notre humanité.

Les trois figures féminines, décrivant la sauvagerie actuelle du monde du travail, forment un choeur. Ce choeur est éclaté, explosé au sein duquel circule des voix solitaires.
Trois voix anonymes, trois figures sans nom (cheffe, mère, fille), mais actrices emblématiques de la société active. Trois carcans, trois couloirs de solitude inapte au dialogue humain.

Ainsi le texte pose la question de l'adresse : à qui je dis, d'où je dis, comment je dis.
Un texte partition qui a pour particularité d'être un tourbillon polyphonique.
L'affrontement est parfois direct, violent ; la parole est aussi intime, les pensées sont solitaires, isolées. Chacune de ces femmes tente de jeter hors d'elle, sa voix, sa vision induite par sa position et sa fonction dans, ou à côté de l'entreprise.
La partition de ces trois femmes ébranle la conscience de chacune et permet d'interroger celle du public. Public pris comme témoin privilégié de ces trois destins funestes, du licenciement, de la mise hors circuit.
Il s'agit aussi, entre elles, de dialogues de sourds liés à la mise en confrontation, en tension qui tire parfois au burlesque et nous permet de rire du pire, de la cruauté des rapports dans l'entreprise. Les rapports sociaux et personnels se confondent : conflit de classe sociale, conflit intergénérationnel, conflit mère-fille, conflit culturel.

Au cours des répétitions nous rechercherons les différentes formes d'adresse.
Nous rendrons organique la circulation de la langue dans ce tourbillon de paroles croisées, nous tenterons d'incarner la pensée intime dite au public miroir, la voix portée et amplifiée qui s'adresse à l'humanité. Ces voix sans nom n'ont pas de psychologie, elles représentent des catégories.
Ces expériences nous éclairerons sur l'action, sur le corps en mouvement, sur la mise en jeu des duels. Il y a certes trois emblèmes de la communauté du travail, mais l'affrontement est constamment en duo.

La quatrième voix qui apparaît par interstice est le choeur absent des salariées licenciées.
Ce choeur induit un environnement sonore qui sera créé en collaboration avec le musicien Jean-baptiste Cognet