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Le Nez

+ d'infos sur l'adaptation de Lionel Parlier ,
mise en scène Lionel Parlier

: Présentation

Quel comédien n'a pas fait le cauchemar de se retrouver devant une salle comble en ayant oublié son texte ?
Un jour, faisant ce type de rêve, j'ai réalisé que j'étais nu : j'avais oublié mon costume. Impossible de mettre la main dessus. Je courrai en tous sens dans les couloirs du théâtre, nu comme un ver au milieu des autres acteurs qui m'enjoignaient de me dépêcher. Des coulisses, j'entendais le silence sur scène : ils m'attendaient tous. Le temps se dilate, les jambes deviennent du coton, les contours sont flous, la lumière éblouissante. Il faut entrer en scène. Un cauchemar.


C'est ce type d'angoisse que traverse Kovaliov dans la nouvelle de Gogol. Il se réveille un matin et il n'a plus de nez ! Gogol n'y va pas de main morte et il vise juste : comme la plupart de ses contemporains dans cette bonne ville de Saint- Pétersbourg, Kovaliov mène une existence remarquablement étriquée, mesquine, repliée sur elle-même et la contemplation sans fin de soi, parfaitement égoïste et imbue de puissance, si modeste soit-elle. Autrement dit l'Ego, le Soi - monté en épingle.
Qu'est-ce qui pourrait bien atteindre pareil individu en plein coeur, si tant est qu'il en ait un ? L'apparence, ce qui tout de suite va se voir, comme… le nez au milieu de la figure ! Hé bien, va pour le nez. Le Diable, alias Gogol, le lui ôte. On ne pouvait être plus acéré.


Le Nez ou une parfaite allégorie de la défaite, de l'impuissance, de la perte de soi, de la disparition de soi. Le trou noir.


Ce pauvre Kovaliov se jette dans une course-poursuite effrénée contre le temps, contre la ville entière, contre les institutions en place - police, presse, église, médecine… - à la recherche de son propre nez, autrement dit "de lui-même" comme il le hurle très à propos au préposé aux petites annonces qui refuse catégoriquement de lancer pareil avis de recherche.


Et Gogol de nous donner sa vision de Saint-Pétersbourg et de ceux qui la peuplent. La férocité de l'auteur n'épargne ni les institutions ni les individus. La police est terrifiante, corrompue et le cas échéant, incapable : le commissaire ne peut en aucun cas différer sa sieste. Le préposé aux annonces refuse de venir en aide à Kovaliov sinon en lui proposant du tabac à priser. Le médecin, après quelques tours de passe-passe, lui propose de racheter son nez pour le mettre dans du formol. Pendant ce temps, Ivan, le domestique de Kovaliov, s'entraîne à "cracher au plafond"... (voilà un des multiples détails qui émaillent le texte et qui le rendent si singulier : a-t-on jamais vu pareille façon de passer son temps ?)


Gogol empoigne les institutions à travers celles et ceux qui les représentent et les constituent. Nul n'est sauf.


Contre toute attente, le seul personnage sympathique avec lequel on passerait volontiers du temps, c'est précisément le Nez ! Car Kovaliov le retrouve dans une cathédrale, en habit de haut magistrat, abîmé dans une profonde prière… Le dialogue qui s'ensuit est inénarrable, entre un Kovaliov bouleversé, qui bafouille, qui éructe, qui se prend les pieds dans le tapis et un Nez impérial, très calme, d'apparence tout à fait normale et qui, malgré tous ses efforts, n'y comprend rien !
Son nez, son propre nez, à soi supérieur, en toutes choses… A-t-on déjà vu ça ? Un matin, Kovaliov se réveille et son nez a retrouvé sa place, au milieu de son visage, comme si de rien n'était. Tout cela n'a peut-être été qu'un rêve, un très mauvais rêve. On peut le penser, car la perte ou la réapparition du nez se situe toujours au moment du réveil. Mais comment en être sûr ? Peu importe, cela ne change rien au propos. Le cauchemar ne dit jamais que la réalité du rêveur et sa situation à ce moment-là. Mais l'ambiguïté du rêve est à retenir, elle nous guidera pour la réalisation du spectacle.
Est-ce réel ou est-ce un rêve ?


Pendant tout ce temps, le barbier Ivan Iakovlévitch, qui rase régulièrement Kovaliov, trouve un nez dans sa tartine matinale… Autre cavalcade angoissée, cette fois pour s'en débarrasser sans être vu.
L'un perd son nez, l'autre le trouve. L'un le cherche, l'autre veut à tout prix s'en défaire. Et si ces deux-là faisaient simultanément des rêves étrangement accordés ?


En attendant, pour fêter ce retour inespéré, Kovaliov se précipite Perspective Nevski y donner une caricature de lui-même : plus grossier, plus arrogant, plus mesquin et imbu de lui que jamais. Un feu d'artifice. Ce cher Kovaliov n'a rien compris. C'est au lecteur, au spectateur de comprendre. Pour cela, Gogol va jusqu'au bout et ne lâche pas sa prise.
Pouchkine dira, les larmes aux yeux après avoir tant ri à la première lecture que Gogol lui faisait de son fameux Poème Comique "Les Ames mortes" : " Mon Dieu ! Comme elle est triste, notre Russie ! "


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Lionel Parlier

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